Les Cahiers de l'imaginaire

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Les routes de la liberté

Les routes de la liberté par Joseph E. Sitglitz.

Les routes de la liberté

Dans son dernier ouvrage magistral, « Les routes de la liberté », l'économiste et lauréat du prix Nobel Joseph E. Stiglitz remet en question les idées reçues sur la liberté dans les économies modernes. Il critique vigoureusement le mantra conservateur selon lequel « les marchés libres égalent la liberté », affirmant que cette vision a égaré nos sociétés.

Stiglitz avance que, dans un monde interconnecté, la véritable liberté exige un équilibre soigneux, une régulation intelligente et une action collective – loin du capitalisme sans entraves prôné par la droite politique.

Une conception différente de la liberté économique

Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque mondiale et président du Conseil des conseillers économiques du président Clinton, déconstruit point par point la conception libertarienne de la liberté. Selon lui, dans une société complexe, la liberté de l’un est souvent obtenue au détriment de celle d’un autre.

  • Par exemple, la liberté des propriétaires d’armes peut limiter la liberté des autres à vivre en sécurité.

  • De même, la liberté des entreprises de polluer restreint la liberté de tous à respirer un air pur.

Stiglitz cible également les géants des médias sociaux, accusant leurs modèles économiques de favoriser la polarisation et d'exercer un pouvoir de marché qui nécessite une régulation stricte. Il voit dans la concentration des médias une menace directe au discours démocratique et plaide pour que l’information soit considérée comme un bien public.

Le capitalisme progressiste : une vision alternative

S'appuyant sur des décennies de recherche et d'expérience, Stiglitz propose un modèle de « capitalisme progressiste ». Ce modèle vise à équilibrer les forces du marché avec des réglementations nécessaires et des investissements publics, en introduisant des mécanismes pour limiter le pouvoir économique concentré tout en favorisant une répartition plus équitable de la richesse et des opportunités.

Stiglitz souligne également les dimensions internationales :

  • Les accords commerciaux actuels, selon lui, favorisent les pays les plus puissants au détriment des nations en développement.

  • Les dettes internationales peuvent gravement limiter la souveraineté des États.
    Il appelle donc à une réforme structurelle de l'architecture économique mondiale pour plus de justice.

Le capitalisme selon Stiglitz : une nouvelle définition

Stiglitz propose une définition nuancée et évolutive du capitalisme, qui dépasse les interprétations traditionnelles. Plutôt que de voir le capitalisme comme un simple système de propriété privée et de marchés libres, il le présente comme un cadre économique complexe, ayant pris différentes formes au fil de l'histoire.

  • Selon lui, le capitalisme moderne ne repose plus uniquement sur le capital physique ou financier, mais inclut également le capital humain, intellectuel, organisationnel, social et naturel.

  • Il critique particulièrement le capitalisme néolibéral des quarante dernières années, qui favorise des marchés dérégulés, une régulation minimale et la suprématie des actionnaires, des pratiques qui ont accentué les inégalités et réduit les libertés significatives pour beaucoup.

Les limites du capitalisme actuel

Stiglitz identifie plusieurs failles fondamentales dans le capitalisme tel qu'il est pratiqué aujourd'hui :

  1. Les échecs du marché
    Les marchés non régulés échouent régulièrement à résoudre des défis cruciaux tels que le changement climatique, les crises de santé publique et les inégalités croissantes. Ces problèmes ne sont pas des anomalies mais des symptômes d’un système fondamentalement défaillant.

  2. La concentration du pouvoir économique
    Le capitalisme contemporain favorise les monopoles, en particulier dans l’économie numérique. Des entreprises comme Amazon, Google et Meta incarnent ce qu’il appelle « la liberté d’exploiter », exploitant leur pouvoir de marché tout en échappant à une régulation suffisante.

  3. Les coûts sociaux
    Stiglitz affirme que les structures capitalistes actuelles sapent la cohésion sociale, privilégiant l'égoïsme sur la coopération, les profits à court terme sur la durabilité à long terme, et les gains individuels sur le bien-être collectif.

Restructurer le système : une transformation progressive

Plutôt que d’appeler à l’abolition du capitalisme, Stiglitz plaide pour une transformation fondamentale par le biais du « capitalisme progressiste » :

  • Une réglementation renforcée pour prévenir l’exploitation et garantir une concurrence équitable.

  • Des investissements publics accrus dans l'éducation, la recherche et les infrastructures.

  • Une diversité institutionnelle, au-delà des seules entreprises privées.

  • Des mécanismes pour assurer une meilleure répartition des bénéfices économiques.

Stiglitz insiste également sur l’importance de la surveillance démocratique pour que les marchés servent les citoyens et non l’inverse.

La société apprenante : une innovation clé

Stiglitz propose un modèle de « société apprenante », qui met l'accent sur :

  • L’investissement dans l’éducation et la recherche.

  • L’encouragement d’innovations qui répondent aux besoins sociaux.

  • Le développement d’institutions capables de s’adapter aux évolutions du monde.

Une critique tranchante des dirigeants actuels

Le leadership politique

Stiglitz exprime des inquiétudes profondes concernant la détérioration du leadership démocratique :

  • Les leaders politiques servent de plus en plus les intérêts des élites riches plutôt que le bien commun.

  • Beaucoup utilisent une rhétorique populiste tout en adoptant des politiques favorables aux élites.

  • Certains sapent les institutions démocratiques en restreignant les votes ou en ignorant des défis cruciaux comme les inégalités et le climat.

Le leadership économique

Les dirigeants d’entreprise sont également critiqués pour leur focus sur les profits à court terme, leur résistance à la régulation nécessaire et leur promotion d’une idéologie centrée sur les actionnaires au détriment de la responsabilité sociale.

La voie à suivre : un appel à l’action

Malgré cette critique sévère, Stiglitz reste optimiste. Il appelle à :

  • De nouveaux modèles de leadership équilibrant efficacité économique et justice sociale.

  • Des institutions démocratiques plus solides pour limiter le pouvoir économique concentré.

  • Une représentation plus diverse dans les décisions politiques et économiques.

  • Des dirigeants conscients de la nécessité d’une action collective face aux défis mondiaux.

Selon lui, la crise du leadership est un choix de société – un choix que nous pouvons et devons changer. En restructurant fondamentalement nos systèmes politiques et économiques, nous pouvons créer un avenir plus équitable, durable et démocratique.

Ce livre est une critique incisive mais également une feuille de route pour un monde meilleur. « Les routes de la liberté » s’inscrit comme un ouvrage essentiel pour comprendre les défis économiques et sociaux contemporains et les opportunités de transformation progressive.


LES ROUTES DE LA LIBERTÉ par Joseph E. Sitglitz.