Qui connaissait Thomas Schlesser il y a de cela quelques mois à peine ?

La parution des Yeux de Mona est venue tout bouleverser. On compare maintenant l’auteur à un Brad Pitt sur la scène mondialisée des livres.

Que dire de l’oeuvre au succès immédiat ?

Son roman raconte la vie de Mona, 10 ans, promise à la tragédie : elle pourrait devenir aveugle. Son grand-père décide alors de lui faire découvrir pendant un an, chaque mercredi, un chef-d’œuvre du Louvre, d’Orsay ou du Centre Pompidou. Si elle perd la vue, elle aura ces références de beauté accumulées au fil des semaines et ces moments de bonheur intimes et privilégiés avec un grand-père aimé et aimant.

Thomas Schlesser, historien d’art de 46 ans au parcours sérieux et prolifique, directeur de la Fondation Hartung-Bergman, professeur à l’École polytechnique, auteur de nombreux essais, d’une biographie et de désormais deux romans, prend toujours soin de choisir la forme qui convient le mieux pour vulgariser l’art.

Pour Les yeux de Mona, il aborde chaque œuvre dans un court chapitre, en suivant la chronologie, de Sandro Botticelli à Pierre Soulages. Le rituel commence toujours de la même manière, ils regardent l’œuvre en silence pendant de longues minutes, la fillette réagit, pose une question et son « Dadé », pour le moins féru sur le sujet, répond. La conversation s’étire jusqu’à ce que l’on comprenne mieux l’œuvre, l’artiste, le contexte de l’époque, les émotions ressenties. Les cinquante-deux œuvres sont présentées en petit à l’endos de la jaquette du livre. La conversation est passionnante, l’histoire captivante et la vulgarisation, une totale réussite.

En seulement quinze jours, après sa sortie, le roman, Les yeux de Mona, est vendu dans soixante pays, dont les Etats-Unis, la Chine, la Russie et en trente-deux langues. Le roman figure déjà en haut des classements de ventes. Une adaptation au cinéma est prévue. Ce livre est un véritable conte de fées. Il est également disponible en livre audio et en braille.

Pourquoi le titre, Les yeux de Mona ?

Dans la section du livre dédiée à "La Joconde" de Léonard de Vinci, Mona et son grand-père Henry visitent le Louvre pour admirer le chef-d'œuvre.

Conscients de la renommée mondiale de l'œuvre et des mythes qui l'entourent, ils s'approchent de la peinture avec l'intention de la contempler sans préjugés, en mettant de côté les idées reçues et les controverses qui l'entourent. Henry explique à Mona l'importance historique de la toile, sa signification artistique, et l'invite à l'observer attentivement, en se concentrant sur les détails et l'expression énigmatique de Mona Lisa.

Henry insiste sur la capacité de l'art à éveiller l'esprit et enrichir l'âme, en particulier pour Mona qui, face à ses propres défis liés à la vue, pourrait trouver dans l'art une source d'inspiration et de réconfort. Ils discutent de la technique de sfumato utilisée par Léonard, qui donne au visage de Mona Lisa son aspect vivant et mystérieux, et de la manière dont le peintre a capturé l'essence de l'humanité dans son œuvre.

La visite à "La Joconde" devient un moment de connexion profonde entre Mona et son grand-père, révélant le pouvoir de l'art de transcender les époques et de parler directement au cœur des individus. Pour Mona, l'expérience est une révélation de la beauté du monde, même pendant des moments difficiles ; un rappel de la valeur de la perception, qu'elle soit visuelle ou intérieure.

D’un chapitre à l’autre, la magie opère, le style romanesque, la découverte des artistes en relation à leur temps, leurs amis poètes ou écrivains, le contexte politique de l’époque où ils ont vécu. La trame narrative est parsemée de petites trouvailles créatives et pigmentée du regard frais, sensible et intelligent de Mona. Un vrai délice !

Mais Comment expliquer un tel succès ?

Bien qu’il n’y ait pas que des louanges., tous s’entendent pour dire que l’intention est formidable. On y apprend plein de choses, c’est un cours d’histoire en abrégé. Mais pour certains, la structure narrative est un peu répétitive avec un schéma fiction/description du tableau/commentaires systématique qui revient tout au long du livre. Une opinion avec laquelle je suis en désaccord. Si répétition il y a, cela ne nuit aucunement au désir de poursuivre la lecture de ce magnifique roman. Et évidemment, la relation du grand-père et de la petite-fille a de quoi émouvoir et contribue à l’attrait du roman.

Les secrets d’un succès littéraire

Comment expliquer le succès soudain et phénoménal d’un roman ? 

• Existerait-il une logique qui permettrait de prédire le succès d’un best-seller ?

• Mieux, serait-il possible de concevoir un algorithme permettant de concevoir une œuvre qui lui garantirait le succès ?

C’est une question que le marché de l’édition et, bien sûr, les auteurs se posent depuis longtemps.

Cette perspective est alléchante, d'autant que les auteurs les mieux payés, comme J.K. Rowling, ont gagné des millions de dollars. La réalité toutefois est fort différente. Dans des pays, tels que le Royaume-Uni, un revenu annuel moyen est bien en dessous du salaire minimum.

Les budgets promotionnels sont souvent proportionnels aux avances versées aux auteurs, favorisant injustement les célébrités, indépendamment de la qualité de leurs œuvres. Malgré cela, identifier un futur best-seller reste un défi. Les manuscrits de nombreux auteurs à succès ont d'abord fait l’objet de plusieurs rejets.

Jodie Archer, ancienne éditrice et titulaire d'un doctorat de l'Université de Stanford (son sujet de thèse était précisément les best-sellers) a choisi une approche innovante. Elle a demandé à un ordinateur, plutôt qu'à des êtres humains, ce qui fait le succès d'un livre. En collaboration avec Matthew Jockers, spécialiste de l'exploitation de données textuelles, elle a développé un algorithme capable de prédire avec 80 % de précision si un manuscrit atteindrait la liste des best-sellers du New-York Times. Pour certains auteurs comme Rowling, James Patterson ou E.L. James, cet algorithme avait même une certitude de plus de 90 %.

Son livre, The Bestseller Code, révèle que le style littéraire, tel qu'analysé par un ordinateur, joue un rôle crucial dans le succès d'un livre. L'algorithme a identifié certaines caractéristiques communes aux best-sellers : la préférence des lecteurs pour des phrases courtes, des récits dynamiques et un vocabulaire moins érudit. Il a également montré que les auteurs ayant une expérience en journalisme avaient plus de chances de publier un premier best-seller, probablement grâce à leur style accessible.

L'article révèle également l'importance d'avoir une cadence émotionnelle dans l'intrigue, un schéma de hauts et de bas émotionnels qui incite les lecteurs à poursuivre la lecture. De plus, l'analyse de textes a permis de déterminer que des sujets tels que la proximité humaine sont essentiels dans les best-sellers, soulignant l'importance des relations humaines et de la capacité des lecteurs à s'identifier aux personnages.

Toutefois, des auteurs à succès comme Robert Muchamore et Milly Johnson expriment un certain scepticisme quant à la possibilité de formuler une recette universelle pour le succès d'un livre, soulignant l'importance de l'authenticité et de la passion dans l'écriture.

Dans le cas de Thomas Schlesse, l’authenticité et la passion sont bien palpables tout au long du roman. Et même si le vocabulaire est érudit, la langue est parfaitement maîtrisée et accessible.

Les facteurs qui contribuent à la vente d’un livre

Quoi qu’il en soit, il est certain, même s’il demeure impossible de prédire le succès d’un livre, que les facteurs suivants contribuent à la vente : 

Cadence émotionnelle

Un schéma alternant des moments émotionnels forts et des moments émotionnels faibles. Cette dynamique aide à maintenir l'intérêt des lecteurs et les incite à continuer la lecture.

Thèmes universels et relations humaines

Les sujets traitant des relations interpersonnelles semblent résonner particulièrement bien avec les lecteurs. Les bestsellers explorent souvent des thèmes universels auxquels un large public peut s'identifier, renforçant ainsi l'engagement émotionnel du lecteur.

Expérience et formation des auteurs

Les auteurs ayant une expérience en journalisme ou une formation qui encourage un style d'écriture accessible et direct ont tendance à avoir plus de succès. Ces compétences contribuent à développer une écriture qui parle directement au lecteur, rendant l'œuvre plus attrayante pour un marché populaire.

Le facteur de surprise et l'originalité

Bien que certains éléments puissent être prédits ou analysés, le succès phénoménal d'un livre peut souvent découler d'un facteur de surprise ou d'une originalité qui défie les attentes. Des œuvres comme Fifty Shades of Grey ont pris l'industrie du livre par surprise, démontrant que les tendances du marché ne sont pas toujours prévisibles.

Résonance avec les tendances actuelles

Les livres qui rencontrent un succès soudain sont souvent en phase avec les tendances culturelles, sociales ou politiques du moment. Ils offrent une perspective, une évasion, ou une réflexion qui trouve un écho particulier à un instant donné.

Marketing et bouche à oreille

Un marketing efficace et le bouche à oreille jouent un rôle crucial dans le succès d'un livre. Une promotion bien ciblée et des recommandations enthousiastes peuvent propulser un livre au sommet des listes de best-sellers.

Authenticité et passion

Malgré l'utilisation de l'analyse algorithmique, l'authenticité et la passion de l'auteur pour son sujet restent essentielles. Les livres écrits avec sincérité et passion sont plus susceptibles de créer une connexion profonde avec les lecteurs, ce qui peut contribuer à leur succès.

L’Art, l’Écriture et la Lecture pour mieux vivre !

Depuis son incroyable succès, Thomas Schlesser a fait l’objet de critiques par certains pairs. Dans le monde de l’art, certains trouvent ses descriptions un peu légères. Évidemment, c’est un roman qui présente cinquante-deux œuvres. Si des artistes ou des œuvres précises nous intéressent, il faut lire des essais et catalogues dédiés à ces artistes et ces œuvres, les éditeurs d’art et les musées en publient d’excellents. Mais pour un survol de cinquante-deux œuvres, l’auteur réussit son pari haut la main.

Dans le monde de la littérature, certains lui reprochent sa structure narrative un peu répétitive. Personnellement, je trouve que le roman est merveilleusement construit et écrit, qui plus est, l’initiative de Thomas Schlesser est très porteuse. Ce roman permet de faire découvrir des œuvres à des personnes qui ne vont peut-être jamais au musée, et qui auront peut-être envie d’y aller à l’instar de Mona et de son grand-père.

À l’ère de l’instantanéité des réseaux sociaux, Thomas Schlesser a trouvé une façon originale de donner à voir et à ressentir le goût de l’art et du Beau à différentes époques à un très grand nombre de personnes. Et donnera, j’espère, le goût de lire davantage.

Ce roman a tout pour éveiller le désir des parents et des grands-parents de transmettre aux jeunes générations ce qui mérite d’être vu, apprécié et compris. Un exemple éloquent du rôle de la littérature pour accroître et améliorer les connexions entre nous, humains, sans l’intermédiaire d’un réseau social.

La lecture nous permet d’appréhender le monde, de développer notre pensée, et de faire preuve de plus d’empathie.

Thomas Schlesser a mis dix ans à écrire ce roman, tout en rédigeant deux essais et une biographie dans le même temps. Imaginer son histoire a été sa façon de surmonter sa peine de ne pas avoir l’enfant qu’il attendait, il y a exactement dix ans. La preuve que de circonstances difficiles peuvent émerger le Beau et même la Joie.

Vous l’avez compris, je ne boude pas mon plaisir, j’ai passé un très beau moment en compagnie de Mona et de son dadé et je me réjouis que ce roman soit un best-seller mondial à une époque où nous avons, particulièrement besoin de beauté et d’espoir.

À vous maintenant…

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Références

Archer, Jodie The Bestseller Code
Zweig, Stefan, Le Monde d’hier
Schlesser, Thomas, Les yeux de Mona