Blocage ⭕️ créatif ?
Créativité et productivité ne sont pas incompatibles.
Lors des premiers confinements, plusieurs ont cru qu’il s’agissait, après tout, d’une opportunité. Les écrivains en particulier. Enfin, de la tranquillité, du temps pour écrire ! Un mois passe. Et rien ne se déroule comme prévu. L’inspiration tarde à se manifester. L’imagination tombe en panne.
William Sutcliffe, qui vit de sa plume depuis plus de 20 ans, se plaint. Le premier confinement a été consacré à tenter de trouver un espace propice pour écrire. Le deuxième confinement, pire que le premier, a été employé à résoudre les problèmes de l’enseignement à la maison. Les mauvaises nouvelles alimentaient une anxiété constante qui sapait toute sa créativité.
La romancière Linda Grant fait le même constat. En temps de crise, son cerveau est assiégé. Le cerveau consacre un temps considérable à traiter les nouvelles qui lui parviennent de la pandémie. Elle raconte qu'elle se réveille dans un brouillard et n’éprouve d’autres besoins que de se planter devant un écran télé. Elle est incapable de se détendre et de se connecter à son subconscient. Elle se sent vidée de l’énergie émotionnelle et intellectuelle nécessaire pour faire émerger événements et personnages de l’inconscient pour faire avancer son roman.
Pour écrire, et sans doute aussi pour dessiner ou pour peindre, tout créateur a besoin que s’ouvre en lui un espace de liberté. En temps de pandémie, cet espace n’existe pas, ou plus précisément, il est envahi par de l’anxiété, de la peur, des pauses inutiles où l’on grignote ou sirote tout et n’importe quoi.
Si l’espace intérieur est envahi, l’espace extérieur est lui aussi rendu inaccessible par les contraintes sanitaires. L’écrivain Gillian McAllister souligne que l’essentiel de son inspiration lui vient de l’observation des passants dans un café ou dans un bar. Leur langage corporel, leurs vêtements, leur odeur. Puisqu’il lui est désormais impossible d’avoir de tels contacts, elle doit se contenter de fouiller dans ses souvenirs. Elle gomme ainsi certains détails cruciaux qui donnent de l’authenticité aux personnages de ses romans.
La constante claustrophobique des quatre murs blancs rappelle que le cerveau d’un créateur est une mécanique à deux temps. Le temps de la divergence, lorsque s’accumulent les données d’observation et d’analyse, et le temps de la convergence, lorsque ces données, une fois colligées, sont transformées sous forme de mots, de phrases, de dessins, de notes de musique. Un temps n’existe pas sans l’autre.
La pandémie nous aura sans doute permis de réfléchir au processus même de création. Un processus qui est moins aléatoire et déstructuré qu’il n’y paraît.
Créativité et productivité ne sont pas deux antinomiques. Le temps de la divergence, tout comme celui de la convergence nécessitent l’exécution de tâches qui leur sont propres. Ils se déroulent selon un enchaînement qui, certes, peut différer selon les créateurs, mais suivent néanmoins une structure complexe et organisée.
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Découvrez l’exercice No. 152
Casser la routine journalière en jouant.
Références
Miele, Mara. CittàSlow: Producing Slowness against the Fast Life, Space and Polity, 2008, 12:1, 135-156, DOI: 10.1080/13562570801969572
"Pour lutter contre la marchandisation du monde, il faut revenir à un loisir fécond et désintéressé : l'otium" Affaire en cours par Marie Sorbier, France Culture, 07/01/21
Jean-Miguel Pirem, Otium, Art, éducation, démocratie, Actes Sud, 02/21