Les Cahiers de l'imaginaire

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<strong>SENSORY STORIES 📙 donner corps au récit à l’ère numérique</strong>

Je baisse la tête, j'ausculte le fond marin, l'eau est si pure et transparente.

Les pieds dans l'eau jusqu'aux chevilles, je respire doucement en regardant ce ciel magnifique.

Révisé 2 juillet 2020 

Je plonge dans cette eau claire et invitante.

En face de moi, un autre nageur remonte à la surface. C'est si beau, si calme... un sentiment de paix m'envahit. Assise dans une petite barque avec des pêcheurs, j'explore les alentours du regard. Tout est reposant. Ces familles vivent sur la mer depuis des siècles. Je partage leur vie quotidienne comme si j'étais une des leurs. Dans leurs maisons sur pilotis, hum... maisons est un grand mot, disons plutôt leurs cabanes, assise au sol, j'apprends à laisser la vie s'écouler lentement. En compagnie du peuple badjau, le long des côtes de Bornéo, le dépaysement est total.

Pour me rendre au nord de l'île et découvrir les Badjaus Laut, je n'ai eu qu'à placer le casque de réalité virtuelle sur ma tête, une fois les lunettes ajustées, les écouteurs sur mes oreilles, un seul clic a suffi pour me téléporter à destination ! 

Autour de moi, le murmure des gens me ramène à une autre réalité. C'est le vernissage de l'exposition Sensory Stories, Donner corps au récit à l'ère numérique au Centre PHI à Montréal. Avec le film Nomads: Sea Gypsied de Felix & Paul Studios, j'ai presque oublié où j'étais. Ici, c'est la fête! On passe d'une expérience à l'autre et partageant ce que l'on a ressenti. Il y a de l'excitation dans l'air...

Ces familles vivent sur la mer depuis des siècles. Je partage leur vie quotidienne comme si j'étais une des leurs. Dans leurs maisons sur pilotis, hum... maisons est un grand mot, disons plutôt leurs cabanes, assise au sol, j'apprends à laisser la vie s'écouler lentement. En compagnie du peuple badjau, le long des côtes de Bornéo, le dépaysement est total.

Pour me rendre au nord de l'île et découvrir les Badjaus Laut, je n'ai eu qu'à placer le casque de réalité virtuelle sur ma tête, une fois les lunettes ajustées, les écouteurs sur mes oreilles, un seul clic a suffi pour me téléporter à destination ! 

Autour de moi, le murmure des gens me ramène à une autre réalité. C'est le vernissage de l'exposition Sensory Stories, Donner corps au récit à l'ère numérique au Centre PHI à Montréal. Avec le film Nomads: Sea Gypsied de Felix & Paul Studios, j'ai presque oublié où j'étais. Ici, c'est la fête! On passe d'une expérience à l'autre et partageant ce que l'on a ressenti. Il y a de l'excitation dans l'air...

Avec la narration multi-sensorielle, même si l'histoire provient parfois d'un livre, le spectateur s'engage dans une expérience qui fait appel à plusieurs sens : sentir, toucher des objets, galoper sur un cheval vrai ou imaginaire... tout est possible et ce, même si on est handicapé. On peut ressentir l'ivresse de l'aventure et apprendre à anticiper ce qui va suivre. On entre dans un monde où les sensations seront décuplées.

C'est une bonne idée de commencer par l'expérience Nomads: Sea Gypsied, un trait d'union parfait entre la vie trépidante de la ville et une immersion dans de multiples expériences de réalité virtuelle et de films interactifs. On se met au calme pour mieux goûter les 13 voyages sensoriels qui vont suivre.

C'est la deuxième année que je découvre les expositions Sensory Stories présentées au Centre Phi. Cette année, je suis encore plus impressionnée. On sent non seulement la vitesse à laquelle les technologies progressent, mais aussi l'appropriation des outils par les développeurs de contenus pour raconter des histoires sous différentes formes.

Can't Get Enough Of Myself par Santigold, États-Unis, 2016 est un clin d'Å“il à notre génération qui a déculpabilisé le narcissisme avec selfies et autres vies étalées en photos sur les réseaux sociaux. On voit apparaître notre image intégrée un peu partout dans le vidéo-clip... Petite satire réussie.

Notes on Blindness: Into Darkness par Arnaud Colinart, Amaury La Burthe, Peter Middleton et James Spinney, France, Royaume-Uni, 2016, m'a beaucoup touchée. L'expérience de réalité virtuelle est basée sur le journal intime audio de l'écrivain et universitaire John Hull qui, après des décennies de détérioration oculaire, a fini par perdre complètement la vue en 1983. On devient cette personne qui perd la vue peu à peu... et comme vous pouvez le constater sur la photo ci-dessous, je ne suis pas la seule à avoir été interpelée par cette expérience.

Marcel Brakel, un des artistes de Sense of Smell.

S.E.N.S VR par Red Corner et ARTE, France, 2016 est un jeu de RV, inspiré de la bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu, qui nous fait entrer dans le dessin ! On chemine, en cliquant sur des flèches, parmi les reliefs et traits à l'encre noire sur papier blanc. Cette expérience permet d'imaginer tout le potentiel des bandes dessinées et des Å“uvres 2D sur papier qui pourraient inspirer des jeux formidables.

Il y a encore d'autres Å“uvres, installations, jeux et films à découvrir, c'est une des expositions incontournables de l'été à Montréal. Pour conclure, la dernière expérience dont je dois absolument vous parler est l'installation Famous Deaths par Sense of Smell, Pays-Bas, 2014, qui nous fait vivre par l'olfaction et l'audition les derniers instants de vie de deux personnes célèbres : Whitney Houston et John F. Kennedy.

L'impressionnante installation Famous Deaths : Deux caissons côte à côte, des capteurs et un ordinateur.

Aimeriez-vous savoir à quoi ont ressemblé les dernières minutes de vie de John F. Kennedy lorsqu'il a été abattu à Dallas, Texas, le 22 Novembre 1963 ? Ou vous glisser dans la peau de Whitney Houston avant qu'elle ne décède accidentellement dans sa baignoire en 2012 ?

C'est ce qu'ont souhaité reproduire les deux artistes de Sense of Smell, Frederik Duerinck et Marcel Brakel en utilisant la puissance des parfums et des sons pour évoquer les dernières minutes de ces deux célébrités. Ils l'ont aussi fait pour Lady Diana et Kadhafi.

Frederik Duerinck, cinéaste, et Marcel Brakel, metteur en scène, au Centre PHI pour le vernissage de Sensory Stories : Donner du corps au récit à l'ère numérique.

On a aussi pu revivre les dernières minutes de Whitney Houston ou de JFK. Pour ce dernier, on hume le vent d'automne, le cuir des sièges de la limousine, le parfum de Jackie assise à côté de lui, le popcorn (que j'ai eu un peu de mal à reconnaître) et les gaz d'échappement des véhicules qui dominent ce bouquet d'odeurs.... On entend les applaudissements de la foule, les fanfares du défilé, les voitures... jusqu'au moment où tout s'arrête brutalement.

Pour vivre ces sensations, il faut se laisser enfermer à l'intérieur d'un caisson ressemblant à ceux que l'on retrouve dans les morgues...  les hôtes et hôtesses veillent à nous remettre un bouton de panique au cas d'un malaise et à nous faire signer une décharge de responsabilités avant l'expérience.

Au vernissage de l'exposition, les personnes étaient nombreuses à vouloir tenter l'expérience... Une fois les personnes étendues sur le brancard métallique, ce dernier est glissé à l'intérieur du caisson mortuaire, la porte refermée, l'expérience peut commencer. À la sortie, l'expression des uns et des autres pourrait faire l'objet d'une nouvelle recherche.

Le projet a beaucoup de potentiel en tant que divertissement immersif bien sûr, mais aussi comme domaine novateur de recherche. Comme l'explique les deux artistes :

« notre projet a commencé par une réflexion sur la puissance de l'odorat en communication. L'odeur est un puissant catalyseur de souvenirs et d'émotions. Pourtant, il est encore peu exploité en communication et en narration. En tant que cinéaste et metteur en scène, nous sommes intéressés à créer des expériences immersives. Avec l'odeur, nous avons découvert un outil de communication supplémentaire très puissant. Vous pouvez l'utiliser pour améliorer une expérience et présenter une histoire de manière encore plus poétique. »

Les deux artistes ont fait leurs recherches pour recréer les événements à l'aide du matériel trouvé sur Internet. Par exemple, pour le scénario Whitney Huston, ils ont eu accès aux rapports de police et aux photos de la scène de mort. « Sur ces images, nous avons pu extraire énormément d'informations sur le type d'odeurs. Mais à un certain point, nous avons dû prendre une certaine liberté poétique pour recréer les scénarios. Certaines odeurs ont dû être recréées avec des créateurs et designers, d'autres étaient accessibles dans le commerce. »

Pour la rédaction du livre Sense of Smell, ils ont travaillé sur cinq thèmes différents.

« Un des sujets était tabou. Les gens ont une relation troublante avec leur odeur corporelle. Notre odeur nous confronte avec le fait que nous sommes un système biochimique en constante évolution et, d'une certaine manière, qui est déjà dans un état de délabrement : c'est l'odeur provoquée par la quantité de fermentation dans le fruit. Le niveau de décroissance détermine le niveau de douceur ou d'âpreté au niveau de l'odorat. On sent un poisson pour déterminer le niveau de fraîcheur, mais en fait, nous vérifions son niveau de décomposition, parce que nous ne voulons pas tomber malades en le mangeant. Les odeurs nous confrontent à notre propre odeur, à notre mortalité. L'un des autres thèmes que nous avons étudiés était le temps. L'odeur est étroitement lié au système de la mémoire. Nous pouvons utiliser l'odorat comme un outil de déplacement dans le temps pour accéder à des souvenirs cachés. Dans le même temps, les événements historiques sont toujours un peu abstraits pour nous, ils sont vagues et peu clairs. Vous pouvez imaginer l'image d'un pain dans votre tête, mais il est difficile d'accéder à l'odeur de ce pain. Mais si vous pensez au pain et, que dans le même temps, vous sentez l'odeur d'un pain, cette image virtuelle recrée l'expérience dans l'ici et maintenant. Ainsi, l'odorat est un outil très puissant pour créer un nouveau mode de réalisation, une sorte de machine virtuelle à voyager dans le temps de la réalité analogique. Dans les installations Famous  Deaths, toutes ces idées sont réunies. »

À Amsterdam lors du DocLab Expo: Seamless Reality, Régine leur a posé la question :

« Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec l'odorat et le son et non avec les 'images ? Pourquoi ne pas les avoir réuni les trois ? »

À cette question, le duo a répondu : 

« L'idée d'utiliser l'odorat pour la narration n'est pas nouvelle, il y a de nombreuses expériences en particulier avec la combinaison des images, mais nous voulions faire quelque chose de différent. Dans le cadre de ce projet, nous choisissons des événements médiatiques historiques qui sont déjà présents dans votre esprit. Les sons et les odeurs donnent accès à ces souvenirs très personnalisés. De cette façon, nous créons une expérience de film onirique au sein de votre propre tête. Nous trouvons beaucoup plus intéressant de faire usage de cette projection interne du cerveau (écran). L'expérience devient beaucoup plus intime et personnelle de cette façon. Pendant quelques minutes, vous devenez le caractère historique à la première personne et vous êtes confronté à votre propre mortalité. Nous pensons que les images auraient créé plus de distance à l'histoire. »

« Pour réaliser un projet d'odeurs, vous devez d'abord avoir un dispositif pour le contrôler. Nous avons fait beaucoup de prototypes et à la fin nous avons créé une machine modulaire pour contrôler 32 odeurs différentes d'une manière très rapide et précise. Nous avons créé une imprimante, mais nous n'avions pas encore la moindre idée du projet que nous allions réaliser avec elle. L'imprimante dispose d'un grand potentiel pour créer toutes sortes de projets. Nous prévoyons l'utiliser pour faire de la recherche scientifique avec des universités en Hollande, mais nous aimerions aussi repenser l'imprimante dans une version portable. »

Les auteurs de Famous Deaths accompagnent leurs quatre installations, en 2016, en tournée en Amérique du Nord et ensuite en Amérique du Sud. Ils travaillent également sur un projet parallèle: "Synaptic Theatre" où ils comptent faire appel au cerveau comme une sorte de lecteur multimédia.

« Dans ce projet, nous voulons créer de la narration par la stimulation directe du cerveau. Nous allons créer des expériences théâtrales en combinaison avec de la simulation neuro-électromagnétique du public. Pour ce projet, nous allons travailler avec des scientifiques et combiner nos recherches avec les leurs. Nous mettons également sur pied un Lab à 360 degrés pour faire des projets de réalité virtuelle et expérimenter de nouvelles formes narratives interactives immersives. »

Bref, deux concepteurs-réalisateurs extrêmement sympathiques dont nous suivrons les expériences. Quand je leur ai demandé d'où venaient leurs principales sources d'inspiration ?Qu'est-ce qui stimule le plus leur créativité ?

« L'inspiration vient en faisant. Nous faisons un prototype le plus rapidement possible, plutôt que de réfléchir longtemps à un concept. »

Envie de tenter une expérience ?

Découvrez l’exercice No. 29

Évoquer la création par les odeurs.


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Lire aussi le billet :Histoires multisensorielles

Références :

+ Info sur les Å“uvres :
https://phi-centre.com/evenement/sensory-stories-donner-corps-au-recit-a-lere-du-numerique/

+ Info sur Sense of Smell
 http://we-make-money-not-art.com/famous-deaths-step-inside-a-mortuary-chest-and-experience-of-the-final-moments-of-jfk/