<strong>Le double à qui l’on s’adresse 🔻</strong>
L’écriture est venue à la rescousse de plusieurs traumatisés.
En 2017, sur France Culture, Frédéric Worms s’entretenait avec Françoise Davoine, psychanalyste.
Révisé 7 juillet 2020
Il était question du choc qu’éprouve les traumatisés, et des différentes possibilités qui s’offrent à eux pour sortir de leur condition.
Selon Françoise Davoine, pour plusieurs, et pour les traumatisés en particulier, le temps, et plus précisément le temps traumatique, les force à faire du sur place. Ils se sentent coincés dans une boucle perpétuelle dont ils ne semblent pouvoir s’échapper.
Quoi faire dans un tel cas ? Comment réagir ? L’écriture est venue à la rescousse de plusieurs traumatisés. Imre Kertesz, survivant des camps de concentration, et récipiendaire d’un Nobel de littérature en 2002, affirmait que « Vivre et écrire c’est la même chose. »
Pourquoi la littérature semble-t-elle détenir un tel pouvoir ? Parce qu’écrire c’est matière à penser. Et plus encore, écrire c’est penser ce qu’on arrive pas à penser.
On oublie trop souvent qu’un traumatisé est un exilé de l’intérieur. Il s’enferme en lui-même, dans une solitude qui le retient prisonnier. Une solitude dont il ne peut sortir.
Confronté à ce huis-clos, muré en soi, il se trouve dans l’obligation de s’adresser à l’autre en soi. « C’est à son double qu’il s’adresse afin de rompre son isolement », souligne Françoise Davoine.
Cette adresse au double constitue une compensation. Une manière de contrebalancer le fait d’avoir eu à affronter des événements traumatisants alors que les traumatisés étaient seuls sans personne à qui s’adresser pour surmonter l’épreuve.
Il est nécessaire de pouvoir dire ce que l’on ressent à un autre. C’est un réflexe irrépressible. Le trauma cherche par tous les moyens à s’exprimer. La seule façon, non pas de faire taire le trauma, car la mémoire du trauma ne s’efface jamais, c’est de lui faire face, et de lui donner autant que faire se peut une forme, une parole.
Écrire, dessiner, gribouiller même, permet de s’exprimer, de laisser une trace, de délimiter un territoire qui prend forme progressivement et que l’on peut revisiter.
« À cet égard », souligne Françoise Davoine, « il y a plus dans la littérature que dans la psychanalyse. »
« Si c’est vrai, c’est qu’un poète l’a dit », renchérit Frédéric Worms.
L’homme évolue à petits pas. Les traumas avec lesquels les protagonistes des œuvres littéraires se débattent sont toujours d’actualité, quelque soit l’époque où ces œuvres ont été écrites. Leurs émotions rejoignent celles qu’éprouvent les traumatisés d’aujourd’hui.
Si l’on cherche un écho pour comprendre, si cet écho résonne dans les œuvres littéraires, y compris celles du passé, nous avons besoin de puiser dans nos ressources intérieures pour que cet écho s’actualise et prenne sa pleine mesure.
Pour ce faire, face à un temps traumatique qui n’en finit pas de passer, qui ne fait en réalité que se reproduire, nous avons besoin d’un allié, d’un double-thérapeute.
Françoise Davoine fournit une merveilleuse définition du terme thérapeute. L’origine du mot thérapeute est le second au combat, c’est celui qui nous accompagne sur nos champs de bataille.
Il n’y aucune raison, toujours selon elle, pour que cette aide ne nous soit pas fournie par un personnage imaginaire.
Alors se poser la question suivante : comment inventer son propre médecin ? En sommes-nous tous capables ? Bien sûr, nul besoin qu’il soit le seul à qui nous devrions nous en remettre. Mais Françoise Davoine insiste, ce double-thérapeute existe en nous tous. Il peut d’ailleurs prendre toutes les formes imaginaires possibles : animal, arbre, paysage.
À tout moment, il n’en tient qu’à nous de donner consistence à ce personnage et à lui donner forme par nos écrits ou nos dessins.
Envie de tenter l’expérience ?
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