<strong>PIERRE SOULAGES🔺</strong>Outrenoir et au-delĂ
Le NOIR et sa lumière secrète
« Le noir n'est jamais le même parce que la lumière le change. Il y a des nuances entre les noirs. Je peins avec du noir mais je travaille avec la lumière. Je travaille plus avec la lumière qu'avec la peinture. »*
Le musée du Louvre a organisé une rétrospective de l’œuvre de Pierre Soulages en décembre 2019 au moment où l’artiste célébrait ses 100 ans ! Et vous savez quoi ? Non seulement, il peint toujours, toutes ses toiles sont peintes uniquement par lui ! Aucun assistant ne fait le travail à sa place.
Le noir est toujours la seule couleur pour Soulages
Entre tous les artistes vivants, Soulages est un phénomène par sa longévité et, j’aurais envie d’ajouter par sa cohérence, sa congruence, sa fidélité au noir dont il ne se lasse pas.
Même chose pour sa passion qui se résume à :
« Continuer à faire de bonnes toiles, tout simplement. Faire la toile que je voudrais faire demain. Celle à laquelle je pense…. J’ai des toiles vierges qui m’attendent. »
Et que dire de la femme de sa vie, Colette, 98 ans, qui est toujours à ses côtés depuis leur mariage à Sète en 1942, à minuit, où les deux amoureux étaient vêtus de noir. Petit clin d’œil romantique et créatif.
Ce qui rend l’artiste également exceptionnel, c’est qu’il peint seul ses toiles. Aucun assistant n’applique de peinture sur ses toiles, il est le seul à toucher à ses toiles, le seul à concevoir et à peindre. Et plus impressionnant encore, il peint encore aujourd’hui de très grands formats ! Heureusement qu’il peint au sol.
Soulages ne s’est jamais laissé limité par les outils, si l’outil n’existe pas, il l’invente.
« La pratique est inséparable de l'art qui se fait jour avec elle. Autrement dit, le fond et la forme ne font qu'un. Je n'ai cessé d'inventer des instruments, le plus souvent dans l'urgence. N'arrivant plus à produire quelque chose, je m'empare de ce que j'ai sous la main. »
Ne sous-estimez pas vos passions d’enfance, elles portent souvent en elles un message fondateur de qui vous êtes et ce que vous réaliserez si vous écoutez cette petite voix en vous qui vous montre le chemin au moment de choisir ce qui importe.
Quand j'ai commencé à peindre, j'avais 5 ans, j'aimais ça. Et ce qui surprenait les gens, c'est que je préférais, quand on me donnait des couleurs, tremper mon pinceau dans l'encrier. .. parce que j'aimais cette couleur, j'aimais le noir. »
Entretien avec Christophe Donner, Op. cit., 2007, p. 48 - Pierre Soulages
Ce noir qui s’est manifesté à lui si jeune ne lui a jamais fait défaut, lui faisant découvrir sa lumière secrète. Écoutez le magnifique entretien avec Elizabeth Quin, vous ne verrez plus jamais vos ratures et vos erreurs de la même manière…. l’expérience de l’artiste vous en convainquera.
Pierre Soulages a quitté Paris depuis 2017 pour vivre à Sète, la ville natale de Colette. Ils y ont construit une maison face à la Méditerranée.
Avec Colette, ils ont créé la maison idéale pour eux, comme il l’a expliqué à Claude Dupont, tenant compte du soleil.
« …c'est une chose assez classique, c'est ce qu'on appelle, je crois, un calcul de brise-soleil. Enfin, ça a été fait en fonction, elle a été faite en fonction du paysage, en fonction de ce lieu que, comme vous le disiez, nous avons rêvé, puisque cette maison est à la fois l'oeuvre de ma femme, de moi. Nous l'avons pensée en fonction de l'endroit. Mais nous avons tenu compte aussi des mouvements du soleil, c'est-à-dire que pendant l'été le soleil ne rentre pas. Pendant l'hiver, il baigne toutes les pièces. Nous l'avons aussi conçue en fonction des vents dominants : elle évite le Mistral , qui est un vent qui n'est pas toujours agréable, et qui... Le Mistral passe par-dessus nos têtes, et elle évite également un vent qui est assez désagréable ici, qui est le vent d'Est - qu'on appelle le Grec à Sète, le Grégaou en Provence - et elle se décroche par rapport à ce vent-là. Mais les choses que nous avons fait ici n'ont jamais qu'une seule raison : chaque chose conjugue et répond à une fonction. Par exemple, le mur-écran que vous voyez à l'Est est là pour éviter le vent d'Est, mais il n'est pas là que pour ça. Il est là aussi parce qu’il fait un beau rectangle, qui cache une partie du paysage que je n'aime pas, et qui découvre au contraire et met en valeur une autre partie du paysage que j'aime. Par ailleurs, ce mur n'est pas n'importe quel rectangle. C'est un rectangle dont les proportions me paraissent convenir avec l'entourage naturel de l'endroit. C'est-à-dire que dans l'exemple particulier de ce mur, il y a trois raisons qui nous ont conduit à le construire : une raison fonctionnelle - le vent -, une raison, disons, esthétique, dans le cadre, dans le paysage, et sa forme elle-même est aussi un rapport qui me paraissait convenir avec le paysage. »
Interview de Claude Dupont***
Tous les jours ou presque, il n’a que quelques pas à faire, une dizaine de marches à descendre pour retrouver son atelier. Son espace est dépouillé, remarquablement rangé, avec des toiles accrochées aux murs, des outils ordonnés.
« Je ne crois pas au mythe de l'artiste chaotique avec de la peinture partout. »
Pierre Soulages est un homme méthodique, un créateur prolifique, si vous passez par Sète, cela vaut le déplacement, à deux heures de route de son atelier, le Musée Soulages à Rodez présente plus de 400 de ses Ĺ“uvres (l’endroit où vous pourrez voir le plus grand nombre de ses Ĺ“uvres réunies) et le Musée Fabre, à une heure de route, à Montpellier, qui consacre une aile entière aux Ĺ“uvres de Soulages.
Pierre Soulages a compris quelque chose d’essentiel.
« L’œuvre vit du regard qu’on lui porte. Elle ne se limite ni à ce qu’elle est ni à celui qui l’a produite, elle est faite aussi de celui qui la regarde. Ma peinture est un espace de questionnement et de méditation où les sens qu’on lui prête peuvent venir se faire et se défaire. »
Voici comment le Musée du Louvre présentait la rétrospective avant que le public n’ait pu découvrir cet hommage :
« Pierre Soulages, « peintre de l’outrenoir », est une figure majeure de la peinture non figurative, reconnue comme telle depuis ses débuts, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Né le 24 décembre 1919 à Rodez (Aveyron), Pierre Soulages, qui continue de peindre aujourd’hui à un rythme soutenu, fêtera son centième anniversaire en cette fin d’année. À cette occasion, le musée du Louvre lui consacre une exposition exceptionnelle dans le Salon carré, situé entre la galerie d’Apollon et la Grande Galerie et qui abritait jadis le Salon des Académies.
Seuls Chagall et Picasso, à l’occasion de leurs 90 ans, ont bénéficié avant lui de telles rétrospectives au Louvre. Cette exposition-hommage prend le parti de rendre compte du parcours chronologique de l’oeuvre de 1946 à aujourd’hui, en représentant par un choix resserré les huit décennies pendant lesquelles Soulages a développé ses recherches.
La longévité exceptionnelle de la carrière de l’artiste est ainsi illustrée par un choix d’oeuvres majeures provenant principalement des plus grands musées français et étrangers. Ne négligeant aucune période et mettant l’accent sur les polyptyques outrenoir, l’exposition permettra également de découvrir de très grandes peintures réalisées ces derniers mois. »
Et je termine sur cette très belle citation de Pierre Soulages :
« Je veux que celui qui regarde le tableau soit avec lui, pas avec moi. Je veux qu'il voie ce qu'il y a sur la toile. Rien d'autre. Le noir est formidable pour ça, il reflète. Les mouvements qui comptent ce sont ceux de celui qui regarde. »
Et il est vrai que les toiles de Soulages sont de superbes espaces propices à la méditation.
Que vous inspire cet homme qui a été l’ami de Giacometti et de Rothko, qui a vécu plusieurs époques, que vous donne-t-il envie de créer ?
Envie de tenter l’expérience ?
DÉCOUVREZ L’EXERCICE No. 143
Passion d’enfance
Références
* Article du New York Time
** Louvre
*** Soulages dans son atelier à Sètes
**** Musée Rodez
***** Galerie Levy Gorvy