<strong>Comment créer des décors avec Es Devlin ? 🟨</strong>
Construire des décors de théâtre pour que les plus grands artistes souhaitent travailler avec vous.
Construire des décors de théâtre est complexe. Sur le plan technique, le créateur doit recourir à une panoplie de techniques : matériaux, techniques de construction, échafaudages, colorants, éclairage de scène, etc. Sans oublier bien sûr l’élément central : comment traduire de manière la plus convaincante possible l’intention de l’auteur, la trame narrative du texte qui sera mis en scène ?
Le théâtre,
un exercice collectif.
Comme le souligne John Hooloway dans son livre, Illustrated Theatre Production Guide, le théâtre est essentiellement un exercice collectif de résolution de problèmes de création.
Les 4 principes de base pour la construction de décors
De façon plus spécifique, la construction de décors, toujours selon Holloway, doit constamment garder à l’esprit quatre principes de bases :
Un décor est un assemblage.
Un décor doit être portatif ou à tout le moins transportable.
Un décor doit être léger.
Un décor doit être démontable et remontable.
Es Devlin est une artiste-designer britannique. Elle a tout d’abord étudié la littérature pour se diriger ensuite vers les arts plastiques. Elle s’est finalement spécialisée dans la conception et la réalisation de décors de théâtre.
Comment élargir ses frontières lorsqu’on conçoit des décors ?
Sa conception du décor de scène va bien au-delà de l’idée que l’on s’en fait généralement. Elle cherche à en élargir les frontières de plusieurs façons :
Elle se positionne en amont, en assumant elle-même le rôle d’auteur qui se charge à la fois du contenu de l’événement et de sa scénographie.
Elle s’inscrit dans un courant qui consiste à faire exploser les frontières de la représentation théâtrale pour y inclure l’ensemble des arts de la scène, du spectacle et de la muséographie.
Elle intègre et questionne à la fois les nouvelles technologies et contribue ainsi à dématérialiser la scène pour la projeter sur des écrans multiples, en salle ou sur les téléphones intelligents.
Sans surprise, tous les projets de Es Devlin, en tant qu’artiste, débutent de la même façon : une feuille de papier et un crayon. À une différence près toutefois, il ne s’agit pas d’un travail en solo, mais d’un dialogue qu’elle amorce avec soit un metteur en scène, un chanteur ou un musicien.
La mise en scène au National Theater de Londres de la pièce Trahisons (Betrayal) d’Harold Pinter fut l’une de ses premières réalisations. Pour Trahisons, elle a choisi d’illuminer le décor de la pièce avec des projections de films, ce qui à l’époque était tout à fait inhabituel. Ce parti-pris pour la lumière, l’utilisation d’images fixes ou animées et la projection de ces images sur un volume cubique, ont marqué l’ensemble de sa carrière.
Le mode opératoire créatif d’Es Devlin est ponctué de nombreuses rencontres avec l’artiste pour lequel elle réalise un décor. Le nombre de rencontres peut considérablement varier et ces rencontres peuvent s’étaler sur une période de quelques semaines ou s’étendre sur plusieurs années.
Pour réaliser un décor de théâtre, il faut savoir bricoler. Avec son équipe, Es Devlin tente de réinventer l’enveloppe de la scène en ayant, par exemple, recours à des matériaux inusités, tels que des rideaux de pluie qui délimitent le périmètre du décor ou en dématérialisant complètement le décor pour le transformer en une projection virtuelle.
Le projet progresse, de la simple esquisse à un modèle 3D et finalement à une maquette, tout en discutant avec l’équipe technique des différentes options possibles pour la réalisation finale du décor.
Les termes « vide » et « lumière » reviennent fréquemment dans la bouche de l’artiste. Es Devlin est une artiste de la lumière. Elle crée des univers qui surgisse de l’obscurité, du vide.
Mais la musique occupe aussi une place importante. Elle accorde de plus en plus de place à des projets de décors pour des artistes de la scène musicale : Kanye West, Beyounce, U2.
Ceux qui ont eu la chance de collaborer avec elle s’étonnent de sa créativité et de son imprévisibilité. Après avoir élaboré le storytelling d’un projet, elle n’hésite pas à aller à l’encontre de la ligne directrice de l’histoire pour créer un effet de contraste qui surprend le spectateur et met en évidence un élément clé de la trame narrative.
Comme si la scène musicale ne lui suffisait pas, traduisant sans doute l’esprit de notre époque pour laquelle tout est spectacle, Es Devlin touche aussi à l’industrie de la mode. Elle a collaboré, entre autres, avec Chanel et Vuitton. Pour un défilé de mode, elle crée des labyrinthes dans lesquels elle installe des miroirs et des écrans LED pour démultiplier l’espace et provoquer un effet d’immersion.
Le terme anglais « show » (spectacle) met en évidence l’un des buts principaux d’un spectacle : montrer. Mais comme le souligne Es Devlin, il ne suffit pas seulement de montrer, il faut aussi être capable, pour l’artiste et si possible le spectateur, de trouver. Pour cela, il faut savoir travailler un concept, le retourner dans tous les sens, pour finalement trouver une ouverture dans laquelle la lumière puisse percer.
L’artiste-designer a été également remarquable dans sa façon de s’adapter. Avec la venue de téléphones intelligents, les spectateurs prennent des photos et filment des vidéos de n’importe où dans la salle et les diffusent sur les réseaux sociaux à des milliers de personnes : la prise de vue doit être intéressante peu importe l’endroit où l’on se trouve.
L’artiste qui performe sur scène, les comédiens qui jouent, les mannequins qui défilent sont dans des cages de verre, on ne peut plus tout cacher derrière la scènes comme c’était le cas à l’époque. Il faut s’adapter. Il faut innover. Sans jamais perdre de vue son style, sa signature.
Quelle leçon retenir d’Es Devlin ?
Il faut parfois une grande idée pour lancer sa carrière : Es Devlin a décidé de construire des décors avec de la lumière et des projections de film avant que les autres y pensent pour des décors de théâtre… si on n’aime pas ce qu’elle fait, on ne le la sollicite pas. Elle a un style bien à elle. En revanche, si on adore ce qu’elle fait, on est prêt à exiger qu’elle soit responsable des décors pour notre pièce, notre défilé ou notre spectacle. Et on sera prêt à y mettre le prix. Bien joué, non ?
En d’autres mots, cela veut dire : avoir une grande idée qui nous permettra de nous démarquer et oser avoir un style à soi est une excellente ligne directrice pour tout créateur de talent.
Passer notre temps à refaire ce que les autres ont fait avant nous… nous confine dans une zone de reproduction plutôt que de véritable création. C’est l’exercice que je vous propose cette semaine.
Envie de tenter l’expérience ?
Découvrez l’exercice No. 124