<strong>Territoires de la mémoire</strong> ⭕️
On altère la réalité aussitôt que l’on tente de la fixer.
W. G. Sebald construit chacun de ses livres comme s’il s’agissait de connecter ensemble des éléments hétéroclites. À l’instar d’un voyageur, il aime explorer les frontières entre les vivants et les morts, entre ce qui a été planifié et ce qui n’est pas encore réalisé, entre les souvenirs et la réalité.
W. G. Sebald, né Winfried Georg Maximilian Sebald, le 18 mai 1944 à Wertach en Allemagne est décédé le 14 décembre 2001 près de Norwich, dans le Norfolk, en Angleterre, était un écrivain et essayiste. Dans ses travaux, Sebald s'est consacré aux étrangers, aux émigrés, qui, comme lui, quittent leur pays et tentent une nouvelle destination.
Ses récits, souvent mélancoliques, sont toujours accompagnés de photos. Cette forme d'écriture mixte se retrouve aussi dans sa poésie et ses essais. Sebald s'est consacré à l'étude de la littérature allemande en Grande-Bretagne et à l'introduction de la littérature de langue allemande dans les pays anglophones.
Sebald aime rappelé à ses interlocuteurs une vieille coutume corse qui consiste à consulter le portrait des ancêtres avant de prendre une décision importante.
Toutes ces frontières ne sont pas hermétiquement fermées. Ce territoire est ouvert à l’exploration. Les paysages qu’on y découvre sont parfois étranges. L’exploration du passé est un des thèmes principaux de son oeuvre. Mais il s’agit d’une exploration aléatoire, au gré des archives disponibles, sans plan déterminé, selon leur pouvoir évocateur.
Tout peut être sujet à analyse :
cartes postales, cartes géographiques, textes, photos de magazines.
L’ampleur des sources consultées ne constitue pas une garantie d’authenticité. Chaque document d’archives (y compris nos souvenirs) est en soi incertain. Il ne reflète jamais complètement la réalité ou camoufle parfois d’autres facettes de la réalité.
À la fin de sa vie, Sebald préparait un livre sur l’histoire de sa famille. D’origine allemande, il était issu d’un milieu modeste. Il ne pouvait même pas se fier sur des dates ou des lieux de naissance exacts. Ses ancêtres étaient des verriers qui habitaient une région forestière en Bavière. Sebald pouvait spéculer sur leurs conditions de travail, sans en tirer pour autant des conclusions précises.
Ce travail de mémoire, tel un archéologue, est une entreprise fastidieuse de reconstruction spéculative à partir d’éléments épars et peu fiables. Sebald se sert souvent d’un fil rouge, très mince, qui lui permet de remonter le cours du temps et de tisser une toile plus ou moins représentative de la réalité de l’époque.
Une source très abondante peut s’avérer décevante. C’est le cas d’un journal intime rédigé par le grand-père d’un des amis de Sebald : 23 carnets de plus de 200 pages chacun.
Selon l'essayiste-écrivain, l’homme en question, un meunier français de Picardie, rédigeait son journal en fin de journée après avoir terminé son travail. Sebald a pu confronter le contenu de ce journal avec d’autres témoignages. Il a vite constaté qu’il contenait des omissions ou des erreurs. Les points de vue, parfois divergents, des autres témoins ne peuvent pas être rejetés. Ils ont eux aussi droit au chapitre.
L’étrangeté dans les explorations du territoire de la mémoire peut prendre parfois des allures métaphysiques. L’analyse, par exemple, des plans des tranchées allemandes de la Première Guerre mondiale. La densité des réseaux est telle que le plan devient illisible, irrationnel. Il donne une idée de la folie de l’entreprise.
Sebald ne se considère pas comme un écrivain mais plutôt comme un constructeur de maquettes, un maquettiste.
On retrouve chez lui l’obsession du collectionneur en train de constituer son cabinet de curiosités. Tout comme dans un cabinet, on peut effectivement y découvrir des spécimens étranges et inconnus.
Envie de tenter l’expérience ?
DÉCOUVREZ L’EXERCICE No. 35
Référence :
Schwartz, Lynne Sharon. The Emergence of Memory. Conversations with W, G, Sebald. Seven Stories Press. New York.