<strong> đź“™ Une fiction qui fait scandale</strong>
Le storytelling a toujours occupé un rôle central dans l’histoire de l’humanité..
Tout d’abord sous forme orale, ensuite par le biais de contes, de légendes, de mythes transmis dans une multitude de langues au fil des siècles, les histoires façonnent notre identité.
Histoire de soi ou Histoire de l’autre ?
De nos jours — faut-il s’en attrister ? — l’histoire de l’autre s’est métamorphosée en histoire de soi ?
Sur Instagram, sur Snapchat, l’histoire de soi se déroule d’une journée, de sa journée, des événements « authentiques » qui se produisent dans le métro, au boulot, en baladant avec des amis…
Le roman My Dark Vanessa, de la romancière Kate Elizabeth Russell, fut publié en 2020. Le livre a connu un succès retentissant. Le roman débute en 2017, en plein mouvement #MeToo. Vanessa apprend alors que son professeur d’anglais, avec lequel elle a eu une relation au lycée, est accusé d’agression sexuelle par une de ses anciennes étudiantes. Cette accusation force Vanessa a réévaluer ce qu’elle a vécu avec son professeur sous un regard différent.
Peu après la parution du livre, Wendy Ortiz, écrivaine elle aussi et d’origine latino-américaine, se plaignit publiquement du fait que le livre de Kate Russel ait été mis en marché avec une campagne de marketing qui ressemblait « à s’y méprendre » à celle de son propre livre : Excavation. Excavation, qui n’est pas un roman, mais qui raconte l’expérience vécue de Wendy Ortiz avec son prof d’anglais. Sur Twitter, on accusa alors Russel de plagiat. On la qualifia aussi d’écrivaine « blanche » qui n’hésite pas à profiter de l’expérience parfois traumatisante des minorités.
Une atttaque surnoise
L’attaque est plus sournoise qu’il n’y parait, car derrière les critiques au vitriol qu’a dû encaisser Kate Russel, on discerne plusieurs enjeux qui concerne le cĹ“ur même de toute création littéraire :
— Faut-il, dorénavant, qu’un écrivain doive lui-même vivre un traumatisme pour écrire sur ce sujet ?
Si c’est le cas, il faudrait alors limiter les genres littéraires et s’en tenir à des récits autobiographiques.
— Doit-on s’attendre à ce qu’une censure dicte la façon dont une expérience a été vécue ?
En exigeant, par exemple, que tous les protagonistes, sans exception, soient identifiés, et que leurs rôles soient précisés. Le droit à l’anonymat des proches d’une victime serait ainsi bafoué.
Après avoir traversé un épisode tragique, aux yeux de la victime, le fait qu’un tiers produise une Ĺ“uvre de fiction à partir de ce traumatisme peut sembler offensant. Comme si le fait de mettre ce récit en mots diminuait l’intensité et la singularité de l’expérience vécue par la victime.
S’il ne fallait écrire sur la guerre qu’après y avoir participé, s’il fallait écrire sur le cancer qu’une fois en avoir souffert, ou s’il fallait écrire sur la violence domestique et sexuelle qu’une fois l’avoir éprouvée, il nous faudrait nous passer de nombreux textes qui jettent une lumière révélatrice sur d’innombrables vérités.
Dans son discours à l’occasion de la remise du prix Nobel de littérature 2015, Svetlana Aleksiévitch parle de Flaubert.
« Flaubert a dit de lui-même qu'il était un homme-plume. Moi, je peux dire que je suis », affirme-t-elle.
Pendant plus de quarante ans, Svetlana Aleksiévitch a créé une Ĺ“uvre de fiction à partir de ce qu’elle entendait et de ce qu’on lui confiait.
« Quand je marche dans la rue », poursuit-elle, « et que je surprends des mots, des phrases, des exclamations, je me dis toujours : combien de romans qui disparaissent sans laisser de traces ! »
« Il n'y a pas de frontières entre les faits et la fiction, les deux se chevauchent. Même un témoin n'est pas impartial. Quand il raconte, l'homme crée, il lutte avec le temps comme le sculpteur avec le marbre. Il est un acteur et un créateur. »
Cette semaine, je vous propose un exercice en lien avec la lecture : appréhender la lecture comme une approche créative pour apprendre à penser et faire des connexions inusités qui vous aideront à avoir de meilleures idées.
Envie de tenter l’expérience ?
Découvrez l’exercice 123
Apprendre à écrire de bonnes histoires