La collection qui n’existait pas 🔺

Une OBSESSION qui mène à une réussite…
Exemple d’un collectionneur qui se réinvente avec les artistes.

« Tous les plaisirs sont éphémères. »
— Herman Daled

Herman Daled est un collectionneur belge qui n'aime pas qu'on le qualifie de collectionneur. Il préfère se comparer à ceux qui achètent des livres.

Révisé 4 juillet 2020

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Au cours de sa vie, il a acquis environ 800 Ĺ“uvres d'art conceptuel. Mais futĂ© est celui qui entrera chez lui et le devinera. Aucune Ĺ“uvre n'est exposĂ©e en permanence sur les murs de sa maison. Seuls indices : de petites fiches dans un tiroir encerclĂ©es d'un Ă©lastique. VoilĂ  toute sa collection ! 

L'artiste Daniel Buren, un ami de 46 ans, lui reproche de ne même pas déballer certaines œuvres. Herman Daled s'en amuse. Ce qu'il préfère plus que tout, c'est de les sortir à l'occasion et de les montrer à ses invités, puis de les ranger à nouveau. Il a fait cela toute sa vie.

Dans le documentaire que lui consacre Joachim Olender, ces moments semblent être des moments mémorables pour ce passionné d'art conceptuel. On imagine d'ici le débat d'idées entre amis et artistes sur la signification de ce mot, de ce signe...

Je suis, avant tout, solidaire politiquement avec les artistes.
—Herman Daled

Pour cet homme, il est insensĂ© de fĂ©liciter un artiste sur son travail et de ne pas lui acheter une Ĺ“uvre. « Si tu vas Ă  leur vernissage, si tu veux ĂŞtre consĂ©quent, tu te portes acquĂ©reur d’une oeuvre. C'est la moindre des choses. Â»

C'est ainsi qu'il a commencé à acheter les œuvres de jeunes artistes dans les années 60 - 70 et qu'il est devenu ami avec l'artiste belge Marcel Broodthaers. Lorsque des artistes américains venaient en Belgique, Marcel leur disait : ce soir je vous amène chez un ami chez qui on peut manger, on peut boire, on peut fumer et, en plus, il achète. Son épouse Louise a tenu auberge tant il y avait presque toujours des artistes chez eux lorsqu'il rentrait du travail le soir.

« Les artistes étaient modestes, au début de leur carrière, et avaient toujours des choses qu'ils étaient prêts à céder. »

En acquérant leurs œuvres, Herman Daled validait leur travail et les aidait à vivre.

Il affirme que son mĂ©rite n'est pas d'avoir eu du flair, mais de s'ĂŞtre montrĂ© disponible. Qu'est-ce que l'art ? Que veut dire faire de l’art ? Pourquoi avons-nous besoin d’art ? Il n'y a pas de raison. C'est quelque chose que fait l’artiste.

C'est un objet de créativité. Un objet de connaissance et d'expérience.

« Ă€ l'Ă©poque l'idĂ©e Ă©tait de faire des objets sans valeurs, de sortir la valeur de l'Ĺ“uvre d'art, pour peut-ĂŞtre fabriquer autres choses sous le chapeau d'art conceptuel. On est loin du chef d’oeuvre, mais on est tout près de l’archive. Ă€ la première exposition d’art conceptuel, vous aviez tout ce que les organisateurs ne savaient pas ranger autrement. » explique Daniel Buren.

Le terme voulait dire que l'objet n'avait plus d'importance, comment alors s'en débarrasser ? demande Buren.

« Ce n'est donc mĂŞme plus la peine de le dessiner, de le fabriquer... » 

Herman Daled assure n'avoir jamais eu la valeur commerciale en tĂŞte. Ses achats Ă©taient des gestes solidaires. Il soutenait les artistes et rĂ©flĂ©chissait avec eux. 

Un tel amour des artistes et de l'art est impressionnant. On est loin de l'idĂ©e que l'on se fait aujourd'hui du marchĂ© de l'art ! Daniel Buren prĂ©cise que si l'artiste se rĂ©inventait et essayait de faire quelque chose de nouveau, le collectionneur aussi devait se rĂ©inventer. Et c'est ce que faisait Herman Daled. 

« Les Ĺ“uvres n'Ă©taient pas de très grandes tailles, pas très intĂ©ressantes visuellement, mais on a tout de mĂŞme crĂ©Ă© une esthĂ©tique ,» constate Herman Daled, une quarantaine d'annĂ©es plus tard.

J'ai surfĂ© sur la vague de ce mouvement essentiel qui a marquĂ© la seconde moitiĂ© du XXe siècle. Dans les annĂ©es 60 - 70, il y avait un centre de gravitĂ©, c'Ă©tait Ă  peine une douzaine d'artistes qui s'intĂ©ressaient Ă  l'art conceptuel : une remise en question de l'objet, mais pas seulement. « Ma collection s'intĂ©resse Ă  des objets qui se sont dĂ©matĂ©rialisĂ©s. J'ai Ă©tĂ© portĂ© par la vague. Au XXe siècle, qu'y a-t-il eu Ă  part DADA, un peu le pop-art et l'art conceptuel. Les grandes vagues sont rares. Â», ajoutent Herman Daled.

En 2011, le MOMA de New York a acquis une partie des pièces maĂ®tresses de sa collection, près de 400 Ĺ“uvres : la plus importante collection d’œuvres de Marcel Broodthaers, des Ĺ“uvres historiques de Daniel Buren, Niele Toroni, On Kawara, Dan Graham, Sol LeWitt et d’autres

Pour Herman Daled et ses amis, l’art Ă©tait un sujet de dĂ©veloppement philosophique. Comme le dit le commissaire du MOMA dans le film de Joachim Olender, le couple Daled Ă©tait des collectionneurs d'idĂ©es.

« Une salle blanche dans un MusĂ©e, oĂą vous n’êtes pas saturĂ© par des couleurs et des formes, mais par des questionnements extrĂŞmement prĂ©cis. On vous demande de lire une phrase dans un espace oĂą il n’y a que cela Ă  faire, cela a une vĂ©ritable force. C'est un effet de rupture par rapport Ă  ce qu'un MusĂ©e expose. »

L'artiste Daniel Buren, qui a d'ailleurs proposĂ© le titre du film Ă  Joachim Olender, Â« La collection qui n'existait pas » pour paraphraser son exposition au Centre Pompidou en 2002, « le MusĂ©e qui n'existait pas Â», raconte cette anecdote :

« Une annĂ©e, j'ai proposĂ© Ă  Herman Daled d'acquĂ©rir une de mes oeuvres chaque mois pendant un an au lieu d'acheter plusieurs Ĺ“uvres Ă  plusieurs artistes. Il a acceptĂ©. Notre entente se terminait un 3 janvier. Ă€ la première exposition visitĂ©e, il a acquis, comme s'il avait Ă©tĂ© affamĂ©, toutes les Ĺ“uvres de l'exposition en une seule fois. J'ai compris que je l'avais frustrĂ©. Un collectionneur qui ne peut plus collectionner peut tomber malade. Â»

Collectionneur ! Herman Daled est agacĂ©. Pour lui, il y a une grosse distinction entre le plaisir et l'intĂ©rĂŞt. La beautĂ© est un piège inĂ©vitable. Le traquenard de la beautĂ©. Sa seule mission : Rendre service aux artistes et au public... c'est la raison pour laquelle il se rĂ©jouit de savoir qu'une partie de sa collection sera entre les bons soins du MOMA.

Voilà un grand prix bien mérité. La Collection qui n'existait pas est un film formidable où on revit une époque et on apprend énormément de choses. Bravo à Joachim Olender et à Herman Daled

Joachim Olender
Né à Bruxelles en 1980, Joachim Olender a étudié le droit et le cinéma à Bruxelles. Il voyage entre le cinéma, la mise en scène et l’écriture, et poursuit actuellement sa thèse à Paris 8 et au Fresnoy.
Filmographie | Bloody Eyes (2011) ; Tarnac. Le chaos et la grâce (2012).

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