Stratégie pour résoudre un conflit 🔘
Apprendre de la nature !
Les expériences des biologistes évolutionnistes nous enseignent des stratégies créatives pour résoudre des conflits.
Comportements sociaux vers l'état critique
Jessica Flack est biologiste évolutionniste à l’Institut Santa Fe aux États-Unis. Elle s’intéresse à la façon dont les collectifs biologiques, qu’ils s’agissent d’essaims d’oiseaux ou de réseaux de neurones, traitent conjointement l’information pour déterminer leur comportement.
Les motifs créés par des essaims d’oiseaux dans le ciel sont visuellement et immédiatement repérables. D’autres motifs, moins facilement discernables, mais tout aussi intéressants, peuvent être modélisés, par exemple, à partir du comportement social des grands singes.
Dans le cas des singes, la modélisation peut être réalisée à partir de coordonnées sociales au sein d’un groupe donné. Jessica Flack a mené une expérience qui consistait à déterminer comment une communauté de macaques réagirait face à un événement perturbateur. Les données recueillies ont été traités en deux temps :
Dans un premier temps, et de manière semi indépendante, les individus du groupe déterminent qui des leurs est en mesure de sortir vainqueur d’un combat.
Dans un deuxième temps, en échangeant des signaux entre eux, les membres du groupe consolident cette information et arrivent à un consensus sur la capacité des combattants éventuels. Ce consensus et le constat qui en découle réduisent au minimum le nombre de combats, ou les rendent tout simplement inutiles.
Dans le groupe de macaques étudiés, les combats impliquaient habituellement une trentaine d’individus. Les petits combats étaient fréquents, et les combats d’envergure plutôt rares.
En modélisant le comportement du groupe, les chercheurs ont déterminé qu’il suffisait de trois à cinq individus pour provoquer le point de bascule.
Lorsque l’état critique du système est ainsi atteint, une bataille généralisée a lieu.
Ces études, en les généralisant, peuvent avoir plusieurs applications intéressantes. Il serait possible d’appliquer ces modèles pour étudier l’état chaotique actuel dans lequel se trouvent les sociétés. En intégrant dans ces modèles des données pertinentes en nombre suffisants, il serait possible de calculer dans quelles mesures, par exemple, un système financier ou social est en voie d’atteindre une phase critique de changement.
Black rappelle, à juste titre, que pour s’adapter à son environnement, tout système biologique oscille constamment entre un état stable et un état chaotique.
Une certaine dose de chaos est nécessaire
La stabilité est une stratégie efficace lorsque l’environnement change peu. À l’inverse, introduire une certaine dose de chaos est nécessaire pour permettre au système de se reconfigurer et de s’adapter lorsqu'il est confronté à une nouvelle condition.
La mesure de la distance** entre l’état actuel d’un système et son point critique de bascule rend possible une modulation, des interventions et des ajustements qui, dans certains cas, peuvent constituer de véritables défis dans l’évolution adaptative d’un système.
L'identité culturelle a-t-elle un sens ?
Récemment Étienne Klein s’entretenait avec François Julien à l’occasion de la sortie de son livre Il n’y a pas d’identité culturelle. Les propos de François Julien sur la pensée chinoise et son mode de représentation du monde se rapprochent de la façon dont les chercheurs de l’équipe de Jessica Flack perçoivent la réalité d’un système.
La pensée occidentale (la nôtre) privilégie une logique compositionnelle. La réalité consiste en un certains nombres d’éléments aux propriétés diverses que l’on combinent entre eux.
La pensée chinoise, à l’inverse, est une logique corrélative dans laquelle les interactions comme telles jouent un rôle clé. Dans cette logique, c’est la tension entre les éléments qui comptent et non pas les éléments eux-mêmes.
L’écart (qu’il soit physique, biologique ou culturel) crée une tension et ouvre plusieurs possibilités d’actions. Pour Julien, cet écart, dans la mesure où l’on se saisit des possibilités qu’il offre, permet le vivre ensemble en société. Pour des chercheurs comme Flack, c’est l’étude et la mesure de cet écart entre les éléments d’un système qui permet de comprendre leur état.
La dynamique des écarts
Pour la pensée chinoise, l’essence de la réalité réside dans l’écart car le monde est en transition continue. L’essence d’un système réside dans la dynamique des écarts.
La pensée chinoise reconnaît ce mouvement incessant entre l’ordre et le chaos. L’appréhension de cet écart par les mathématiques et la modélisation se conforment d’une certaine façon à cette logique. Elle fait résider l’essentiel de la réalité dans les relations entre des éléments, plutôt que dans les éléments eux-mêmes.
Lorsque j'anime des séminaires sur la résolution de conflits, un des premiers éléments, pour l'animateur d'un groupe, c'est de se placer parmi les autres, cela permet de créer une relation de proximité plus porteuse. Il nous faut créer des liens plutôt que d'attiser la controverse.
Nous avons souvent tendance à nous placer dans le rôle de l'émetteur alors qu'il est plus efficace, pour des expériences d'apprentissage, de se placer parmi les éléments. On peut alors amorcer une véritable conversation plutôt que d'essayer de diffuser son savoir comme une science infuse. Enseigner tout comme apprendre est un acte de co-création.
Une antenne-relais plutôt qu’un émetteur
Je terminerai sur cette belle citation de l'auteur de Thérème Vivant, découverte lors de la superbe exposition organisée par la Fondation Cartier pour l'Art Contemporain en 2012, Mathématiques, un dépaysement soudain :
La concision, la puissance, le pouvoir explicatif font partie de la beauté mathématique... La clarté est une vertu irremplaçable de l’esthétique mathématique. Je me place toujours au milieu du monde ; catalyseur, synthétiseur, antenne-relai plutôt qu’émetteur.
Cédric Villani
Apprendre à être moins violents pour les humains serait une avancée positive et importante. Y a-t-il une seule espèce, à part la nôtre, qui fait preuve d'autant de violence envers, par exemple, les petits et les femelles ? De plus en plus de personnes craignent que l'intelligence artificielle nous domine et nous conduise à notre perte. La technologie ne sera toujours que de la technologie. Ce sont les humains qui programment les machines pour qu'elles apprennent à apprendre. Que voulons-nous qu'elles apprennent ? Si nous reproduisons nos comportements actuels, il y a, en effet, raison de s'inquiéter.
Mais il est aussi possible d'agir dès maintenant. Parents, enseignants, citoyens, nous sommes tous concernés par ces questions.
Envie de tenter l’expérience ?
DÉCOUVREZ L’EXERCICE No. 19
Apprendre la co-création
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Références
Jessica Flack est biologiste évolutionniste à l’Institut Santa Fe aux États-Unis.
Mathématiques, un dépaysement soudain :
Livre conseillé :
Julien François, Il n'y a pas d'identité culturelle
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L’époque ne se prête pas à l’optimisme à tout le moins à court terme. Pour les créatifs, en particulier, quelque soit leur domaine de prédilection, art, entrepreneuriat, technologie, la période que nous traversons, et qui devrait se terminer, souhaitons-le, dans les mois qui viennent, est lourde de conséquences pour l’emploi. Elle aura des conséquences durables. Nous assistons à une restructuration globale de la société et de l’économie..