đź”´ Savez-vous visualiser ?

Comment se porte votre imagination visuelle ?

Federico Fellini gardait sur sa table de chevet un carnet dans lequel il notait systématiquement ses visions nocturnes.

Savez-vous visualiser ? par Sylvie Gendreau

Savez-vous visualiser ? par Sylvie Gendreau

Le sujet de ce billet m'a été inspiré par un lecteur d'une chronique précédente, Monsieur Dominique Chetboune (que je remercie), qui m'écrivait ceci :

« En lisant l'article intitulĂ© “L'entretien du moi”, il me semble (sauf erreur de ma part) que vous ne tenez pas compte de la dĂ©finition mĂŞme de la mĂ©moire autobiographique Ă©pisodique. Pour plus de prĂ©cision, la mĂ©moire autobiographique Ă©pisodique s'associe d'abord et avant tout Ă  une autre capacitĂ© cognitive : l’imagerie mentale (ou imagerie visuelle). De nombreux travaux Ă  l'Ă©tranger, dĂ©montre qu'il existe une grande variation individuelle dans la capacitĂ© Ă  Ă©voquer des images mentales et Ă  leur prĂ©cision. Malheureusement, on se rend compte aujourd'hui, que nous ne sommes pas tous Ă©gaux par rapport Ă  la mĂ©moire autobiographique Ă©pisodique. On s’interroge si certaines pathologies aujourd’hui baptisĂ© « dĂ©pression », « schizophrĂ©nie » ne dissimuleraient pas en rĂ©alitĂ© des dĂ©ficits de la mĂ©moire autobiographique Ă©pisodique. Pour rĂ©sumer, Ă  ce jour, on dĂ©couvre que l’imagerie mentale joue un rĂ´le central dans la dĂ©finition mĂŞme de la mĂ©moire autobiographique Ă©pisodique (et son pendant la mĂ©moire prospective). Et que les variations individuelles sont telles qu’il est impossible de gĂ©nĂ©raliser Ă  tout un chacun une « mĂ©thode » valable pour tout le monde, et la verbalisation de son passĂ© peut ne pas du tout « compenser » des dĂ©ficiences ** de l’imagerie mentale. »

Je connaissais dĂ©jĂ  le Dr Oliver Sacks et j'avais lu certains de ses livres, mais je ne m'Ă©tais pas arrĂŞtĂ©e sur cette question encore. En fait, moi qui visualise avec une grande facilitĂ©, je n'imaginais pas qu'on puisse ne pas visualiser. J'ai donc suivi certaines pistes conseillĂ©es par Dominique Chetboune et ajouter les exemples auxquels cela m'a fait penser pour Ă©crire ce billet qui fait suite au premier Ă©crit au mois de fĂ©vrier (vaut mieux tard que jamais).

Au cours de sa vie, le docteur Oliver Sacks s’est prêté à de nombreuses expériences.

Il décrit dans un article du New Yorker de 2003, l’effet qu’a produit sur son cerveau l’absorption de fortes doses d’amphétamines.

Pendant les deux semaines qui suivirent, il se mit à créer des dessins anatomiques d’une précision stupéfiante. Il lui suffisait de regarder brièvement une reproduction d’un dessin anatomique pour que l’image demeure intacte, gravée dans sa mémoire pendant des heures, pour ensuite la projeter sur le papier.

Le tracé, sans être élégant, était de l’avis de ses proches, précis et parfaitement exact.

Quelques semaines plus tard, après que les effets des amphétamines se furent estompés, les aptitudes qu’il avait acquises de manière spectaculaire disparurent brutalement. Les capacités de visualisation, de mémorisation retournèrent à la normale, et Oliver Sacks redevint le piètre dessinateur qu’il avait toujours été.

L’absorption d’amphétamines a pour effet d’induire d’importantes modifications sensorielles, en particulier une amélioration notoire de l’imagerie mentale et de la mémoire.

L’expérience que venait de vivre le docteur Sacks l’avait marqué. Elle avait aussi piqué sa curiosité à l’égard de la capacité qu’a le cerveau de visualiser des images.

Plus tard, Oliver Sacks a croisé des individus atteints d’aphantasia. Des individus incapables, en d’autres mots, de se représenter mentalement une image. Il a eu l’occasion d’interroger l’un d’entre eux et lui a demandé comment il parvenait à vivre avec son handicap.

L’homme en question lui répondit qu’il était chirurgien. Mais comment faites-vous, insista Sacks, pour reconnaître ce que vous êtes en train de faire lors d’une intervention chirurgicale ?

L’homme rĂ©pliqua, tout bonnement, en affirmant qu’il devait exister dans son cerveau un modèle de rĂ©fĂ©rence, une reprĂ©sentation conceptuelle qui devait correspondre Ă  ce qu’il Ă©tait en train de voir et de faire, mais qu’il n’en avait pas conscience, et qu’il Ă©tait incapable de l’évoquer mentalement en termes d’images.    

Le chirurgien, dans sa réponse, semblait sous-entendre qu’une imagerie mentale foisonnante constituait en quelque sorte un atout souhaitable, certes agréable, mais pas du tout indispensable.

La curiosité d’Oliver Sacks l’a poussé à continuer d’interroger ses proches. Sacks demanda à un cousin, architecte, qui prétendait de surcroît ne rien pouvoir visualiser, comment il s’y prenait pour « penser » ses croquis et ses plans. Le cousin lui répondit qu’il n’en savait strictement rien.


Comment nous percevons-nous ?

Comment percevons-nous le monde qui nous entoure ? Après tout, les images ne sont pas les seules modes de représentation. Plus encore, existerait-il, à part les mots et les symboles, un type de pensées « sans forme », des pensées dites essentielles, amodales ?

Revenons à l’imagerie mentale. S’il s’agit, pour ceux qui en sont dépourvus, d’un atout fort agréable, bien que non essentiel, comment ceux qui en disposent peuvent-ils en tirer avantage ?

Le livre de mes rĂŞves

Federico Fellini gardait sur sa table de chevet un carnet dans lequel il notait systématiquement ses visions nocturnes. Mais il ne se contentait pas de les noter par écrit, il illustrait ses rêves. Et de surcroît, avec un indéniable talent de dessinateur.

Illustration de Federico Fellini dans Le livre de mes rĂŞves

Illustration de Federico Fellini dans Le livre de mes rĂŞves

Ces carnets ont été publiés. Ce livre magnifique s’intitule Le Livre de mes rêves*, un croisement entre journal intime et dessin humoristique.

Dans le texte de la préface, Tullio Kezich décrit Le Livre de mes rêves comme « une proposition de circumnavigation dans le mystère, un immense magasin de pièces à conviction, d'hypothèses surréalistes, de fantaisies irréalisables, de précognitions ».

Il témoigne de l’imagination visuelle particulièrement vivace du réalisateur.

Fellini était bien sûr conscient du fait que les images oniriques sont éphémères. Et c’est pour cette raison qu’il s’empressait dès son réveil de les noter.

Vincenzo Mollica, un ami proche de Fellini, souligne que lorsque celui-ci lui parlait de ses rêves, il les racontait comme s’il s’agissait de bandes dessinées.

Fellini avait avoué à Mollica que lorsqu’il était enfant, sa véritable formation s’était faite à travers la lecture des bandes dessinées du Corriere dei Piccoli. « Si tu regardes bien ces pages, tu y trouveras tout mon art, tout mon cinéma. »

L’imagination visuelle se cultive. Ceux qui notent leurs rêves le savent. Plus on les note, plus nos rêves se peuplent d’images précises, plus les rêves prennent vie, deviennent de plus en plus saisissants.

Fellini considérait ses films comme étant des rêves sur de la pellicule. Le film 8 1/2 huit et demi en est un exemple frappant. En 1964, ce film a remporté de nombreux prix. Il est considéré comme l’un des chefs-d’oeuvre de Fellini.

Le héros du film, Guido, un réalisateur en panne d’idées se réfugie dans un monde où le réel et l’imaginaire, le passé et le présent se mélangent constamment.

Dès le départ, le film nous introduit dans un univers improbable, onirique. À l'intérieur d'une des voitures immobilisées, un homme suffoque, l'habitacle est envahi de fumée et pas moyen d'ouvrir les portes ou les fenêtres. Les passagers des autres véhiculent l'observent indifférents. L'homme grimpe sur le toit et s'élève dans les airs.

La toute première scène du film est en rĂ©alitĂ© la mise en image d’un rĂŞve.   

Fellini, un fabricant d’images

Les images, avec leur charge symbolique, transportent leur part de mystère. Elles forcent parfois la raison à capituler.

Il n’y a pas toujours d’explications à fournir sur la genèse d’une image ou son interprétation. Mais c’est justement là son intérêt. Elle provoque, elle surprend, elle tourne les coins ronds, elle dit en silence ce que l’inconscient aurait affirmé s’il avait la parole.

C’est justement en cela qu’elle est précieuse, en particulier l’image qui naît de nos pérégrinations mentales, celle qui émerge en plein jour ou celle qui, à la faveur de la nuit, se faufile dans nos rêves.

L’invitation que je vous fais chers lecteurs : Dormez. Rêvez. Dessinez vos rêves !

Et si vous êtes parmi ceux qui en sont incapables, c’est que vous êtes toujours pleinement dans le moment présent (pour vous, cela ne représente aucun effort, alors que pour nous, nous avons besoin de méditer pour interrompre le flot des pensées qui nous assaillent).

Encore fois, cela illustre à quel point chacun de nous est unique et rend l’expression de notre créativité encore plus intéressante.

Dans le cours Dessinez votre futur, vous faites appel à toutes vos formes d’intelligence, vos forces créatrices, à ce qui vous rend unique et vous permet de vous démarquer pour mettre en place le système qui vous permettra d’atteindre vos objectifs et de vous améliorer de 90 jours en 90 jours. Ensemble, créons l’extraordinaire.

Envie de tenter l’expérience ?

Découvrez l’exercice No. 100

Dormir. Rêver. Créer.

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Lire Ă©galement

L’entretien du moi

Références

* la mĂ©moire autobiographique Ă©pisodique

** des dĂ©ficiences 

***  Dominique Chetboune 

**** article du New Yorker

****Le Livre de mes rĂŞves

***** le film 8 1/2 huit et demi

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