Théâtre inventif 📙 SUR-EXPOSITION
Olivier Saillard met en scène Tilda Swinton et Charlotte Rampling
J'attends toujours avec impatience l'avènement de la téléportation. Imaginez la vie, si en un seul clic, on pouvait traverser l'Atlantique pour assister à une représentation exceptionnelle ou visiter une exposition remarquable. J'y pense chaque fois que j'ai un coup de cœur.
En 2012, lorsque l'historien, commissaire et performeur, Olivier Saillard, directeur du Palais Galliera, le Musée de la mode de la Ville de Paris, a commencé sa collaboration avec Tilda Swinton, j'ai regretté de ne pouvoir être à Paris. Ce fut la même chose en 2013, puis en 2014. Les performances se sont toutes déroulées pendant le Festival d'Automne à Paris devant un groupe restreint de personnes. Une performance presque confidentielle. Chaque fois, les billets s'envolent dans les minutes qui suivent leur mise en vente.
On dit que l'attente nourrit le désir. Imaginez ma joie, lorsqu'en rentrant d'un déplacement au Maroc, je décide de m'attarder à Paris pour participer à Nuit Blanche et que je découvre, grâce à une amie, qu'Olivier Saillard et Tilda Swinton collaborent à nouveau en 2016... mais, cette fois, avec une nouvelle complice, Charlotte Rampling.
Je laisse maintenant la parole à Olivier Saillard. Rideau.
« À partir de collections de la Maison Européenne de la Photographie, Charlotte Rampling et Tilda Swinton deviennent cimaises. Les portraits et les paysages de Irving Penn, Richard Avedon ou de Brassaï - pour ne citer qu'eux - s'accrochent à leur bras. Ils s'évanouissent aussi. Comme des images en abîme, trop usées, d'un musée fatigué ou d'une galerie vulnérable, les sujets et les formes ont déserté les cadres. »
Tour à tour, elles tendent aux visiteurs/spectateurs non pas les tirages originaux qui ont fabriqué l'histoire et l'iconographie du XXe siècle mais leurs fantômes taillés dans le noir et le blanc uniformes.
Ombres de clichés surexposés dont il ne reste que les formats d'origine, spectres de carbone désertés de tous ses sujets et ses motifs, les toiles monochromes que tendent Rampling et Swinton sont un souvenir mais aussi le support de nouvelles photographies d'elles-mêmes en devenir.
Entre ces deux valeurs de noir et de blanc, les visages de Rampling et Swinton sont les nuances de gris qui ont disparu. Leurs voix légendent les portraits saturés, leurs jeux réactivent les paysages aveuglés.
Cette disparition orchestrée des images qui sollicite la mémoire est une métaphore d'un monde en sur-production qui ne se voit pas toujours sombrer.
Les visages de Rampling et Swinton décrivant les photographies disparues comme des archéologues du souvenir sont les capitaines d'un monde soumis à l'accélération qu'elles tentent de ralentir.
La tyrannie du présent est telle, avec l'usage des photographies par téléphone et d'internet, qu'on ne peut plus parler d'urgence de captation du moment. Le risque de rater une photo n'existe plus avec le numérique. L'abondance des images de tout et un chacun et leurs canaux de diffusion ont fait de la photographie un langage du quotidien, un art du domaine public. Souhaitant emprisonner l'exceptionnel de l'instant, chacun de nous le périme, le frelate. À tant vouloir conserver l'instant présent ainsi surexposé, nous fabriquons un passé court, instantané. Chacun de nous accélère la captation du présent en bataille et le précipite plus rapidement que jamais dans un passé imminent.
Portés devant Rampling et Swinton, les fantômes photographiques encadrent les deux visages bien réels, segmentent leurs corps, agissent comme des zooms, éclairent ou assombrissent les paysages intérieurs.
Ils restituent le format original d'une exposition en train de se modéliser devant nos yeux, où l'œuvre compte moins que le regard qu'elle invite.
Ce précipice de la fabrication actuelle des images, signifié par l'anonymat des fantômes brandis à bout de bras ou par les miroirs vulnérables à l'air du temps, est devenu le cœur de la performance.
Pour autant, il était essentiel de s'appuyer sur un patrimoine fort de photographies importantes pour l'histoire. Pour en révéler l'importance, la qualité documentaire et artistique et aussi la fragilité.
Moment suspendu que cette performance au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.
Avant l'ère digitale, après la performance, j'aurais pris des notes dans un de mes carnets. J'aurais glissé le programme entre deux pages, souhaitant, un jour, partager cette expérience. Et peut-être aurais-je oublié le carnet au fond d'une caisse... ainsi que la performance et son souvenir.
Envie de tenter l’expérience ?
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Soyez le commissaire de votre exposition !
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