đ La nature comme trauma : comment Han Kang redĂ©finit notre crise Ă©cologique
En recevant le Prix Nobel, lâécrivaine sud-coréenne Han Kang nous invite à interroger notre relation avec la nature, non pas comme un refuge idyllique, mais comme un miroir complexe de traumatismes personnels et collectifs. Ses romans explorent les profondeurs de la psyché humaine, suggérant que la crise environnementale actuelle pourrait avoir ses racines dans nos émotions et notre histoire collective.
L'écrivaine sud-coréenne Han Kang a été sacrée lauréate du prix Nobel de littérature 2024, marquant un tournant majeur pour la littérature asiatique sur la scène mondiale. Cette distinction met en lumière le rôle crucial des petites maisons d'édition dans la diffusion des littératures étrangères. En effet, c'est grâce à Portobello Books, une maison d'édition indépendante aujourd'hui disparue, que le premier roman de Han, La Végétarienne, a pu être découvert par le public anglophone en 2015, ouvrant ainsi la voie à sa reconnaissance internationale.
L'Ćuvre de Han Kang, saluée par le comité Nobel, se caractérise par une prose à la fois minimaliste et percutante, abordant des thèmes profonds qui interrogent la société coréenne traditionnelle et son histoire. Son roman La Végétarienne, publié initialement en Corée du Sud en 2007, a choqué lecteurs et critiques par son imagerie explicite, explorant la résistance individuelle face à une société oppressante. Actes humains, autre Ćuvre marquante, plonge dans les séquelles sanglantes de la répression d'un soulèvement étudiant à Gwangju en 1980, tandis que Le Livre blanc offre une méditation poignante sur le deuil et la guérison, inspirée par la vie et la mort de la sĆur nouveau-née de l'autrice. À travers ses récits, Han Kang parvient à transcender l'expérience individuelle pour aborder des enjeux d'importance nationale, confirmant ainsi sa place parmi les voix littéraires les plus importantes de notre époque.
La Nature comme Miroir de nos Traumatismes : Han Kang Renouvelle notre Vision de l'Écologie
Dans un monde où les préoccupations environnementales ne cessent de croître, l'Ćuvre de l'autrice sud-coréenne Han Kang apporte un éclairage nouveau et troublant sur notre relation avec la nature. Loin des clichés bucoliques et des appels simplistes à un retour aux sources, les romans de Han Kang nous confrontent à une réalité plus complexe et dérangeante : et si notre rapport à la nature n'était qu'un reflet de nos propres traumatismes ?
Plutôt que de nous offrir une nature bienveillante ou utopique, Han Kang expose une nature miroir, une surface réfléchissante où s'impriment nos blessures profondes et les cicatrices laissées par des drames collectifs.
Une Plongée dans l'Univers de Han Kang
Han Kang, lauréate du Man Booker International Prize en 2016 pour son roman La Végétarienne, s'est imposée comme l'une des voix les plus originales de la littérature contemporaine. Ses Ćuvres, à la croisée du réalisme et du fantastique, explorent les zones d'ombre de la psyché humaine et de la société coréenne.
Dans des romans comme La Végétarienne ou Leçons de Grec, Han Kang met en scène des personnages qui, confrontés à la violence du monde, cherchent refuge dans une forme de communion avec la nature. Mais cette quête d'harmonie avec le monde végétal n'est pas sans conséquence.
Le Végétal comme Refuge et Prison
Prenons l'exemple de Yeonghye, l'héroïne de La Végétarienne. Suite à un rêve sanglant, cette femme ordinaire décide du jour au lendemain de ne plus manger de viande. Ce qui commence comme un simple changement de régime alimentaire se transforme peu à peu en une obsession qui la pousse à vouloir devenir elle-même une plante.
"Han Kang nous montre que ce désir de fusion avec la nature n'est pas une libération, mais plutôt une réponse désespérée à un environnement hostile", explique le Dr. Sarah Kim, professeure de littérature coréenne à l'Université de Seoul. "Yeonghye ne cherche pas à retourner à un état de nature idyllique, elle tente d'échapper à la violence inhérente à la condition humaine."
Cette approche contraste fortement avec certains discours écologistes qui prônent un retour à la nature comme solution aux maux de la société moderne. Han Kang nous rappelle que la nature n'est pas un havre de paix, mais un monde régi par ses propres formes de violence.
Cette perception de la nature comme échappatoire révélatrice de nos traumatismes ouvre un regard inédit sur les relations entre psychologie humaine et écologie.
Le Trauma comme Racine de notre Rapport à l'Environnement
L'originalité de l'approche de Han Kang réside dans sa capacité à lier notre rapport à la nature avec nos expériences traumatiques individuelles et collectives. Dans son roman Leçons de Grec, elle explore les séquelles du soulèvement de Gwangju en 1980, un événement traumatique de l'histoire récente de la Corée du Sud.
Han Kang suggère que notre façon d'interagir avec l'environnement est profondément influencée par nos traumatismes non résolus, analyse le Dr. John Lee, chercheur en écocritique à l'Université de Californie. Elle nous invite à réfléchir sur la façon dont nos blessures personnelles et sociétales façonnent notre perception de la nature.
Cette perspective ouvre de nouvelles pistes de réflexion pour l'écologie. Plutôt que de voir la crise environnementale comme un simple problème technique à résoudre, elle nous incite à examiner les racines psychologiques et culturelles de notre rapport au monde naturel.
Une Critique du Retour à la Nature
À travers ses récits, Han Kang remet en question l'idée romantique selon laquelle un retour à la nature serait la solution à nos problèmes. Elle nous montre que cette aspiration peut elle-même être le symptôme d'un mal-être plus profond.
"Han Kang déconstruit le mythe de la nature comme refuge", explique Lisa Nguyen, critique littéraire spécialisée dans la littérature asiatique contemporaine. "Elle nous rappelle que la nature n'est ni bonne ni mauvaise en soi, et que projeter nos désirs de pureté ou d'harmonie sur elle peut être dangereux."
Cette approche critique du "retour à la nature" résonne particulièrement à notre époque, où les mouvements prônant un mode de vie plus proche de la nature gagnent en popularité. Sans nier l'importance de repenser notre relation à l'environnement, Han Kang nous met en garde contre les solutions simplistes.
Vers une Écologie du Trauma ?
Les Ćuvres de Han Kang ouvrent la voie à ce que certains chercheurs commencent à appeler une "écologie du trauma". Cette approche vise à comprendre comment nos expériences traumatiques individuelles et collectives influencent notre rapport à l'environnement.
Une 'écologie du trauma' pourrait inspirer des politiques qui tiennent compte des dimensions émotionnelles et culturelles de notre rapport à l'environnement, en intégrant des programmes éducatifs ou des stratégies de conservation sensibles à notre héritage collectif.
"L'idée n'est pas de pathologiser notre relation à la nature", précise le Dr. Maria Rodriguez, psychologue environnementale. "Il s'agit plutôt de reconnaître que nos blessures psychiques ont un impact sur notre façon de percevoir et d'interagir avec le monde naturel."
Cette perspective pourrait avoir des implications importantes pour les politiques environnementales. Elle suggère que pour résoudre la crise écologique, nous devons aussi nous attaquer aux traumatismes qui sous-tendent notre rapport à la nature.
Un Appel à la Nuance
En fin de compte, l'Ćuvre de Han Kang nous invite à adopter une vision plus nuancée de notre relation à la nature. Elle nous rappelle que le monde naturel n'est ni un paradis perdu à reconquérir, ni un simple réservoir de ressources à exploiter.
"Han Kang nous montre que notre rapport à la nature est complexe, ambigu, parfois même contradictoire", résume le Dr. Kim. "Elle nous encourage à embrasser cette complexité plutôt que de chercher des solutions toutes faites."
Dans un contexte où les défis environnementaux deviennent de plus en plus pressants, cette approche nuancée pourrait s'avérer précieuse. Elle nous rappelle que pour repenser notre relation à la nature, nous devons aussi nous confronter à nos propres zones d'ombre.
Impossible adieux
Dans une prose poétique et hantée, Han Kang, dans son livre Impossibles adieux, nous plonge au cĆur des massacres perpétrés à Jeju, île coréenne lointaine, et sur le continent, au début de la guerre de Corée. Une jeune femme, hantée par un rêve dâarbres noirs et par les récits des victimes quâelle a recueillies pour un travail dâécriture, se rend au chevet dâune amie, à lâhôpital. Celle-ci lui demande un service étrange : prendre soin de son perroquet blanc durant son hospitalisation. Après une opération de la main qui a mal tourné, son amie doit en effet rester trois semaines à Séoul, immobile, et recevoir des soins toutes les trois minutes.
À son arrivée à Jeju, une tempête de neige paralyse lâîle. Le lendemain, lâoiseau meurt. Quand elle en informe son amie, celle-ci lui répond quâil faut bien quâelle lâaccepte, quâelle nâa pas dâautre choix que de vivre avec la mort de lâanimal. Mais comment faire pour accepter la mort, la sienne et celle des autres ? Ensemble, elles reviennent sur leurs histoires familiales et sur les massacres oubliés.
La crise écologique actuelle : au-delà du déni, vers une compréhension plus profonde
Alors que la planète fait face à des défis environnementaux sans précédent, l'approche novatrice de Han Kang, liant trauma, violence et rapport à la nature, offre une perspective inédite pour repenser notre relation à l'environnement au 21e siècle. Cette vision pourrait être la clé pour surmonter le déni et l'incompréhension qui persistent face à la crise écologique.
Les chiffres sont alarmants : selon le rapport 2022 du GIEC, les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites de 43% d'ici 2030 pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Pourtant, malgré l'urgence, la réponse globale reste insuffisante. Comment expliquer ce décalage entre la gravité de la situation et notre incapacité collective à agir ?
L'Ćuvre de Han Kang suggère que notre rapport à l'environnement est profondément ancré dans notre histoire personnelle et collective, nos traumatismes et nos peurs. Cette perspective pourrait éclairer notre compréhension du déni climatique. En effet, selon une étude publiée dans Nature Climate Change en 2021, près de 40% des personnes interrogées dans 40 pays minimisent encore l'urgence climatique.
Ce déni pourrait être vu non pas comme un simple manque d'information, mais comme une réponse émotionnelle à une réalité traumatisante. Tout comme les personnages de Han Kang qui luttent pour faire face à leurs traumatismes personnels, notre société semble peiner à affronter le traumatisme collectif que représente la dégradation de notre planète.
Les points de rupture du système Terre sont de plus en plus tangibles. La fonte de la calotte glaciaire du Groenland, par exemple, a atteint un point de non-retour selon une étude publiée dans PNAS en 2020. Cette fonte pourrait entraîner une élévation du niveau des mers de plus de 7 mètres à long terme. Face à de telles perspectives, le déni peut apparaître comme un mécanisme de défense psychologique.
L'approche de Han Kang nous invite à dépasser ces oppositions simplistes entre nature et culture, entre retour aux sources et progrès technologique. Elle suggère que la solution à la crise environnementale ne réside pas uniquement dans des avancées technologiques ou des politiques publiques, mais aussi dans une transformation profonde de notre rapport à la nature.
Cette perspective est particulièrement pertinente à l'heure où la sixième extinction de masse est en cours. Selon le rapport 2019 de l'IPBES, jusqu'à un million d'espèces sont menacées d'extinction. Ce chiffre vertigineux illustre l'ampleur de la crise, mais peut aussi paraître abstrait et déconnecté de notre expérience quotidienne.
L'Ćuvre de Han Kang nous rappelle que notre relation à l'environnement est aussi émotionnelle et psychologique. Elle nous encourage à explorer la dimension humaine de la crise écologique, au-delà des chiffres et des statistiques. Cette approche pourrait être la clé pour surmonter le déni et l'incompréhension.
Cette approche pourrait ouvrir la voie à de nouvelles formes d'engagement environnemental. Plutôt que de se concentrer uniquement sur des solutions techniques, elle nous encourage à explorer comment notre histoire personnelle et collective façonne notre relation à la nature. Cette compréhension plus profonde pourrait être la clé pour surmonter le déni et catalyser une action collective significative.
Alors que nous cherchons des moyens de faire face à la crise écologique, l'Ćuvre de Han Kang nous rappelle l'importance de ne pas négliger la dimension psychologique et émotionnelle de notre relation à la nature. C'est peut-être dans cette compréhension plus profonde et plus humaine de notre place dans le monde naturel que réside la clé pour surmonter les défis environnementaux du 21e siècle.
Encore une fois, les artistes et leurs Ćuvres ne sont-ils pas une magnifique façon de prendre davantage conscience des phénomènes qui nous assaillent ? En soi et autour de soi. Câest ce que le Booker Prize et le Nobel de littérature reconnaissance en ayant accordé leur prix à Han Kang.
À travers les récits de Han Kang, nous sommes invités à non seulement repenser notre lien avec la nature, mais aussi à explorer en nous-mêmes les racines émotionnelles de cette relation.
Envie de tenter lâexpérience ?
Découvrez lâexercice No. 207
Explorez et Créez à partir de votre lien avec la Nature
Références
Thomson, L.J. et all. Art, nature and mental health: assessing the biopsychosocial effects of a âcreative green prescriptionâ museum programme involving horticulture, artmaking and collections. September 2020 Vol 140 No 5 l Perspectives in Public Health 277.
Shannon Finck. Clenched and Empty Fists: Trauma and Resistance Ethics in Han Kangâs Fiction. Humanities 2022, 11, 149.
Han Kang. Impossibles adieux. Grasset. 2021.